Le fardeau tranquille des choses, Ruth Ozeki

Ce Livre s’exprime réellement, objet doué de raison et de sentiments qui s’adresse à Benny, son héros, avant de reprendre le fil de son récit. À intervalles régulier, un timbre clair monte donc de ces pages pour s’adresser au garçon, faisant écho aux troubles qui l’agitent à l’ouverture du Fardeau tranquille des choses. À la mort de Kenji, son père, le garçon commence à entendre des voix, autant celle du disparu que celles des objets qui l’entourent. Ruth Ozeki relate ainsi le deuil de Benny mais aussi celui de sa mère, Annabelle, s’attardant également sur la touchante relation entre ces deux protagonistes. Leurs liens se distendent, rongés par l’adolescence, la mort de Kenji et ce qu’entend Benny. Ce dernier se replie sur lui-même, malmené par tous avant sa rencontre avec Alice – ou peut-être s’appelle-t-elle Athena – à l’hôpital psychiatrique où il reste quelques jours sans que les objets autour de lui ne se taisent. Puis ce seront ses conversations lunaires et philosophiques avec B-man, un sans-abri alcoolique spécialiste de Walter Benjamin – philosophe aussi fasciné par l’Angelus Novus de Paul Klee que l’est Benny – qui le guideront sur un autre chemin, en-dehors des normes et des exigences.

Les hallucinations auditives du héros sont peut-être un moyen pour Ruth Ozeki de rendre hommage au Japon où certains objets « intranquilles » peuvent se faire entendre, de dénoncer le capitalisme et la tendance humaine à la surconsommation et à l’accumulation – Annabelle en est un bon exemple – ou encore à un niveau plus microscopique, d’évoquer les problèmes psychologiques croissants des adolescents et leur impossibilité à être compris. Les limites entre maladie mentale et folie solitaire et artistique sont également explorées par l’autrice qui rend ici hommage aux poètes, ainsi qu’aux livres et aux bibliothèques, refuges des incompris.

Le fardeau tranquille des choses est une lecture singulière, difficile d’accès à un esprit terre-à-terre. Peut-être trop long, ce roman use donc d’une métaphore étrange pour s’attaquer à de trop nombreux sujets sans jamais vraiment clarifier son propos, valant davantage pour la relation mère-fils en son cœur que pour son récit aux frontières du merveilleux.  

Ce roman est le lauréat du Women Prize for Fiction 2022, prix ayant déjà notamment récompensé Maggie O’Farrell pour Hamnet ou encore Kamila Shamsie pour Embrasements.

Merci à Belfond et à NetGalley pour cette lecture.

Crédits photo : le tableau reproduit à droite est l’Angelus Novus de Paul Klee (1920).

Ruth Ozeki – Le fardeau tranquille des choses
[The Book of Form and Emptiness – traduit par Sarah Tardy]
Belfond
6 avril 2023
592 pages
24 euros

7 réflexions sur “Le fardeau tranquille des choses, Ruth Ozeki

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  2. Voilà un retour extrêmement intéressant. Le côté thématique des maladies psychiques m’intéresse énormément. Nous avons beaucoup à apprendre de ces personnes en souffrance psychique. J’ai côtoyé un jeune homme autiste asperger récemment lors d’une activité. Accéder à leurs univers est assez fascinant. Tu vois ce jeune homme était passionné de la culture japonaise. Il parlait cette langue couramment. Extrêmement intelligent mais malheureusement en grande difficulté lorsqu’il est en prise avec le quotidien le plus banal. Ils sont très attachants. Je vais le rajouter ce roman. Le prix obtenu n’est pas anodin. Heureux de pouvoir lire à nouveau. J’ai eu des soucis de santé qui m’ont amenés à réduire drastiquement ma présence sur le blog et mes visites sur les blogs que j’adore comme le tien Cécile. Je vais reprendre le rythme tranquillement. Toujours un grand plaisir de te lire ! Bon weekend 😊🙏

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    1. C’est vrai que c’est une approche intéressante et l’autrice nous conduit à nous demander si la folie ou la maladie sont bien là où nous pensons qu’elles sont et pas plutôt dans la société elle-même. On a beaucoup à apprendre de ces gens différents, c’est ce que souligne Ruth Ozeki, et ce que tu confirmes 🙂
      Pour autant, c’est une lecture étonnante et sans doute un peu trop étirée qui ne m’a pas complètement convaincue malgré les questions pertinentes qu’elle soulève.
      Je suis ravie de te relire, ici et sur ton blog, et j’espère que tu vas mieux ! Je me tiens à l’affût de tes commentaires et de tes articles mais prends tout ton temps 🙂

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