Antigone dans le feu du djihad (Embrasements, Kamila Shamsie)

Embrasements est un coup de poing, un livre magistral, une réécriture du mythe d’Antigone maîtrisée à la perfection. Amour, politique, trahison, mensonge, actualité et religion se côtoient, se confrontent pour finalement se mêler et former un livre qui a été un véritable coup de cœur.

Isma, Aneeka et Parvaiz Pasha sont frères et sœurs, orphelins et Londoniens, Pakistanais d’origine. L’amour fraternel est plus fort que tout, il brûle tout sur son passage, il dépasse les manquements et les erreurs, si tragiques soient-elles, les secrets, les tractations et la mort. À ce triangle familial – amoureux pourrais-je presque dire – s’ajoute Eamonn, fils du Ministre de l’Intérieur britannique, lui aussi d’origine pakistanaise. Les personnages se croisent, s’éloignent dans un affolant ballet dont tous ne sortiront pas indemnes. Au centre de la scène, le djihad – djihad au sens premier de lutte et d’effort sur soi, et au sens, plus actuel du terme, de nouvelle guerre sainte. Tous les protagonistes gravitent autour, certains s’en rapprochant juste assez pour simplement se brûler les ailes, les autres y étant confrontés durant toute leur courte vie, les derniers réussissant à se tenir suffisamment à distance mais devant voir ceux qu’ils aiment aspirés par ce trou noir, ce fléau, engloutis par ce brasier. Ce n’est pas un livre que l’on prend pour se remonter le moral, certainement pas. C’est la réécriture d’une tragédie, un livre dur mais nécessaire, triste à pleurer mais tellement important dans le monde d’aujourd’hui. Kamila Shamsie a d’ailleurs reçu le Women’s Prize for Fiction 2018 pour Embrasements.

Une partie est consacrée à chacun de ces quatre personnages et le dernier segment de l’œuvre est vu par les yeux du Ministre, le père d’Eamonn – inspiré par le Créon mis en scène par Sophocle, mais présenté avec un caractère plus humain. Cinq protagonistes, cinq destins mêlés pour les cinq actes d’Antigone. Kamila Shamsie joue avec les points de vue, adopte un rythme changeant, tantôt tranquille, tantôt infernal, utilisant des phrases tantôt longues et jalonnées de dash, tantôt courtes et non-verbales, souvent interrogatives pour illustrer le désarroi de chacun des personnages. Le résultat est saisissant, elle parvient à créer un univers de résonances et d’échos, où les destins se frôlent puis s’éloignent pour mieux se retrouver, irrémédiablement attirés. En plus de livrer un roman si bouleversant et si juste humainement parlant, l’auteure amène tout en finesse un sujet actuel et difficile à aborder. Les tensions et les manigances politiques ont également un rôle majeur dans Embrasements, qui évoque les tentatives de réponse des gouvernements confrontés à des jeunes embrigadés, à des départs vers le Moyen-Orient sans retour possible. Le monde est dépassé, voilà la leçon que semble nous donner Kamila Shamsie, l’amour ne suffit plus, il ne suffit plus pour vaincre – mais vaincra malgré tout. Ce feu se nourrit de tout, absorbe tout ce qu’il peut. La moindre étincelle – amoureuse, politique ou familiale – deviendra un embrasement incontrôlable qui donnera lieu à toute une série de départs de feux.

Merci aux Éditions Actes Sud, qui, en contribuant à enrichir aVoir aLire, ont également contribué à enrichir ce blog.

Avec ce livre, je participe au Challenge 1% de la rentrée littéraire

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