Les derniers géants, Ash Davidson

La forêt inspire les écrivains, l’odeur du papier sur lequel ils rédigent leur souffle des histoires et des noms de héros. Ash Davidson, pour son premier roman, met ses pas dans ceux de Richard Powers, de Michael Christie et de Karl Marlantes, les suivant dans les bois. Ses deux focalisateurs sont mariés et se relaient pour esquisser peu à peu la silhouette des séquoias immenses qui les dominent. Colleen est beaucoup plus jeune que Rick et elle ne travaille pas, s’occupant de leur fils et priant pour tomber enceinte, une nouvelle fois, sans sentir l’odeur métallique de la mort avant-terme. Sage-femme à ses heures perdues, elle connaît toutes les épouses des bûcherons collègues de Rick et visite régulièrement les maisons perdues dans la forêt. Son mari, lui, s’accroche à un arbre-mât, harnaché par des cordes et par la volonté implacable du destin – ou peut-être est-ce celle du hasard. Leur vie conjugale se dessine, tissée par les non-dits et les remords qui se perdent dans le quotidien, dans l’inquiétude née des arbres à abattre, des billets à trouver et des familles à protéger. Parfois, la narration se baisse à hauteur d’enfant et c’est par les yeux de Chub, leur fils, que le lecteur assiste aux scènes.

Outre cette attention subtile aux détails qui forment un mariage et un foyer, Ash Davidson se concentre aussi sur l’environnement et sur la lutte acharnée entre hommes et nature qui refusent de communier. Sans faire corps, ils s’affrontent, les bipèdes épandant des herbicides encore et encore tandis que la Terre périt et se rebelle dans cette mort, enfouissant des bâtisses et des routes sous des coulées de boue et des glissements de terrain, empoisonnant l’empoisonneur. Engagé, Les derniers géants alerte sur ces dangers que notre planète encourt et qu’elle fait encourir à ceux qui la peuplent. Les trois héros sont entourés de nombreux autres personnages, construits pour rendre l’histoire et ses rouages plus solides encore. L’autrice forme un véritable microcosme centré autour de ces arbres qui semblent ici presque dénués de vie, troncs à faire choir davantage que piliers vivants à préserver – un microcosme auquel se superpose nécessairement le macrocosme, ses relations à la Terre et sa lente déchéance. Deuil, écologie, santé publique, cupidité, amour familial et querelles se mêlent dans ce roman, des dilemmes cornéliens unissant ces sujets les uns aux autres. La plume est fluide et efficace, emportant le lecteur dans le sous-bois, dans cette Éden qui devient un Enfer enflammé par la vénalité humaine.

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Ash Davidson – Les derniers géants
[Damnation Spring – traduit par Fabienne Duvigneau]
Actes Sud
4 janvier 2023 (rentrée littéraire d’hiver 2023)
528 pages
24,50 euros

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6 réflexions sur “Les derniers géants, Ash Davidson

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