Underground Railroad, Colson Whitehead

Cora et Caesar fuient la plantation Randall et les sévices de leur maître, s’enfoncent dans les bois et dans le sombre labyrinthe de la liberté, peut-être plus effrayant encore que les sillons des champs de coton. C’est cette quête absolue, cette force vitale qui se bat contre le destin, contre les Blancs et le racisme extrême, sans nom mais alors si normal, que relate Underground Railroad. Colson Whitehead revient sur ce réseau informel qui permit à certains esclaves de disparaître et d’échapper à la potence, donnant chair à la métaphore. Le terme de « voie ferrée » n’est en effet que purement imagé dans l’expression consacrée : l’auteur, lui, imagine de véritables rails enfouis sous terre, un train monstrueux, bête raccourcie et porteuse d’espoir qui jaillit de l’obscurité. Il suit Cora alors qu’elle avance d’état en état, jamais en sécurité, toujours sur le qui-vive sous peine de le payer de sa vie.

Certains passages de ce roman sont difficilement supportables, écœurants, comme ce sera également le cas dans Nickel Boys, dernier livre traduit de Colson Whitehead, lauréat de deux prix Pulitzer. La violence décrite est insondable, le sadisme, infini mais presque décrit avec distance – pour Cora et pour les autres, ces brutalités quotidiennes sont banales. Les « Strange Fruits » de Billie Holliday se balancent aux branches des arbres, les corps noirs affreusement mutilés avant le soulagement de la corde. Les chasseurs de prime sillonnent les routes, à la recherche de ces insolents qui ont osé défier l’ordre établi, la loi de leur propriétaire. Et Cora et Caesar luttent, tête haute et enfin fiers – parfois.

La barbarie imprègne les pages, poisseuse, mais, outre cette inhumanité, ce sont aussi le courage et la persévérance acharnée de Cora qui marquent. L’héroïne est attachante, inévitablement, son rêve, finalement commun, si légitime, et de fait, elle apparaît comme humaine, comme proche du lecteur par les sentiments, les envies et les craintes. L’auteur achève d’enfin redonner une âme et une individualité à ces esclaves qui étaient alors vus comme du bétail, noue les gorges et serre les cœurs.

Le parcours de la jeune fille est entrecoupé de brefs changements de focalisation qui permettent à Colson Whitehead de donner de l’ampleur à sa fresque sociétale, de préciser des détails qui soulignent la morale biblique immorale d’alors. Là où l’auteur choisit le prosaïsme, la clarté épurée des énoncés dans Nickel Boys, ici la poésie est présente dès le résumé – rendre tangible cet underground railroad, ou transformer l’horrifique en conte l’espace d’un instant fugace. Quelques métaphores fusent, fulgurance lumineuse éclairant la nuit des deux protagonistes qui, par moments, cèdent la place à d’autres voix.

Cruel, vibrant d’une émotion innommable, Underground Railroad laissera une empreinte au fer-rouge à qui se jettera sur ses voies.

Merci à la collection Terres d’Amérique pour cette lecture si marquante.

Colson Whitehead – Underground Railroad
[The Underground Railroad – traduit par Serge Chauvin]
Albin Michel (Terres d’Amérique)
2017
416 pages
22,90 euros

Ils/elles en parlent aussi : La nuit je mens. Anouk library. Plaisirs à cultiver. La livrophage. Miss book. Lire land. Des livres, des livres. Lettres exprès. Nyctalopes. Les livres d’Ève. L’épaule d’Orion. Apostrophe. À livre ouvert. The unamed bookshelf. Cannibales lecteurs. Tu vas t’abimer les yeux. Charybde 27. Little pretty books. Le blog de Krol. Girl kissed by fire. Maghily. Moka. Mes échappées livresques. Les miscellanées d’Usva

20 réflexions sur “Underground Railroad, Colson Whitehead

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  2. Ping : Harlem Shuffle, Colson Whitehead – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

  3. belle chronique !!!! j’ai beaucoup aimé ce roman, qui est très présent encore dans ma mémoire… je me suis sentie vraiment très proche de Cora et des autres aussi…
    j’ai préféré ce roman à « Nickel Boys » que j’ai pourtant beaucoup aimé mais j’avais deviné trop tôt
    j’ai hâte de retrouver la plume de l’auteur 🙂

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    1. J’ai préféré celui-ci moi aussi, pour la plume plus lyrique, pour les métaphores. Mais les deux méritent amplement leur prix Pulitzer !
      Harlem Shuffle paraîtra en janvier chez Terres d’Amérique 😉 et en attendant, peu le savent et les connaissent mais il a écrit plusieurs titres publiés chez Gallimard et qui ont l’air assez cocasses dans des genres très différents.

      Aimé par 2 personnes

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