Le Prince de ce monde, Emmanuelle Pol

La narratrice d’Emmanuelle Pol raconte le monde qui va mal, qui part à la dérive. Elle lie toutes les manifestations, les révoltes, les meurtres, les migrations massives, l’atmosphère sanglante et oppressante à un événement particulier, à un homme, à lui comme elle l’appelle. Celui qu’elle considère comme étant le Prince de ce monde. Le diable. Cet homme est dangereux. Il la manipule, lui fait du mal, l’humilie, l’obsède. C’est un pervers narcissique, comme celui que Douce (Sylvia Rozelier) rencontra et aima. Un pervers narcissique qui lui retourne la tête, l’esprit, qui lui fait perdre le sens commun. Plus rien n’a de sens après en avoir soudainement gagné – l’épiphanie est finie. L’acuité, l’évidence qui étaient siennes lorsqu’elle l’a rencontré, s’estompent pour la laisser dans un brouillard de stupeur et de terreur, de superstition et de paranoïa. Son mari et sa fille s’éloignent, ne remarquent pas grand-chose, continuent leur vie, toujours sous l’influence du Malin croit-elle, elle qui a presque toujours été athée.

Ce « il » mystérieux et malveillant semble être le reflet de nos peurs actuelles, l’image même de ce contre quoi les révoltes grondent. À la fois prédateur sexuel et cause de toutes les catastrophes, de l’apocalypse qui n’est jamais loin, cause de la montée des extrêmes, de la polarisation du monde, il concentre tout ce qui nous agite en ce moment, allégorie maléfique qu’il est.

Peut-être a-t-elle raison, peut-être le Diable existe et n’est pas seulement l’absence du bien. Toujours est-il que cette fable aux accents tragiques semble dangereusement proleptique dans notre monde, dangereusement proche. Tout part à vau l’eau, rien ne va plus, comme si le diable avait pris le contrôle du monde et non pas seulement de l’esprit fragile et perturbé de la narratrice, affaibli par ce pervers narcissique, origine et symbole du mal, du mal qui accable notre société. L’égoïsme. La peur de l’autre. La haine qui envahie tout, la haine qui était, est et restera plus forte que l’amour, comme le clame l’héroïne de ce roman glaçant.

Merci aux Éditions Finitude qui, en contribuant à enrichir le site d’aVoir aLire, ont également contribué à enrichir ce roman.

Crédit photo : le dessin d’une femme qui prend feu provient du livre Les contes de Grimm chez Grund (illustrés par Adolf Born)

Ils en parlent aussi : La lettre du phénix, Born to be a livre, Le carnet et les instants, Les lectures d’Antigone, En quête littéraire, Un brin de Syboulette

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