Pour qu’il neige, Jessica Au

Dans ce roman plein de finesse, aussi délicat qu’une estampe japonaise, Jessica Au évoque une relation mère-fille effilochée par les années et par les non-dits, par la différence culturelle et langagière qui éloigne les générations. La narratrice voyage avec sa mère au Japon, pensant pouvoir ainsi se rapprocher d’elle et mieux la comprendre, découvrir sous un jour nouveau celle qui a vécu à Hong-Kong pendant des années – peut-être grâce à l’ambiance asiatique, à la similitude de certaines traditions. En filigrane de cette errance tokyoïte, des souvenirs remontent à la surface de la mémoire de la protagoniste, le passé s’estompant au contact du présent, à moins que ce ne soit l’inverse. Toutes ses vaines tentatives de devenir quelqu’un – peu importe qui, l’idée étant de se créer une identité moins flottante – lui reviennent en tête et rythment ce périple géographique et temporel, presque génétique. La démarche est la même : essayer de se comprendre tout en comprenant l’autre.  

De même que les deux femmes, Pour qu’il neige tait beaucoup de choses, préfère la nuance, effleurer la vérité plutôt que de la dévoiler. Une résistance demeure, le texte étant tout à la fois perméable et imperméable à la neige qui pourrait tomber. Les héroïnes sont anonymes, sans doute comme une manière de mieux découvrir leur intimité sans s’embarrasser d’identités factices, ou bien de rappeler qu’elles s’ignorent elles-mêmes et ne parviennent pas à savoir qui elles sont l’une pour l’autre ni pour elles-mêmes.

Ce sont les émotions, les relations humaines et l’incapacité à se comprendre mutuellement dont se saisit Jessica Au. L’art semble être une voie pour s’éclairer et faire sortir de l’ombre nombre de mystères, et l’autrice file la métaphore de page en page, évoquant ce qui est dissimulé sous la surface, sous les apparences, les coups de pinceau – sous la neige qui ne tombera pas.

Merci aux éditions Grasset et à NetGalley pour cette lecture.

Jessica Au – Pour qu’il neige
[Cold Enough for Snow – traduit par Claro]
Grasset
1er mars 2023
180 pages
18,50 euros

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14 réflexions sur “Pour qu’il neige, Jessica Au

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    1. C’est le terme. En ce sens il m’a un peu fait penser à Intimités de Katie Kitamura, ainsi que dans la manière de capturer la complexité des rapports humains et le côté flottant de l’identité, dans les rapports à l’art aussi. Je ne sais plus si tu l’avais noté mais je te verrais bien le lire également.

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