Chimerica, Lucy Kirkwood

Qui n’a jamais vu cette photographie mythique, symbole d’une révolte, symbole d’une dictature ? The tankman, celui qui osa s’interposer, faire face au régime chinois, sur le lieu même de sa puissance, Tiananmen, place centrale de Pékin. Celui auquel on pense moins, c’est l’homme qui était derrière l’appareil, en 1989. Ou plutôt les hommes. Ils ont été plusieurs à immortaliser la scène, dont le plus connu est Jeff Widener. Rien n’empêchait donc Lucy Kirkwood, dramaturge anglaise et scénariste de Chimérica d’imaginer un photographe, l’un de ceux qui étaient derrière une fenêtre, cachés pour saisir sur leur pellicule ce moment incroyable, cette scène mémorable.  Elle construit un personnage, entremêlant réalité et fiction pour lui créer un visage. Lee Berger (Alessandro Nivola) travaille pour un éminent journal new-yorkais. Il a fait de sa passion son métier et on imagine aisément que ce cliché l’a grandement aidé dans son ascension. Après un coup dur qui remet en cause son intégrité, le journaliste décide de retrouver l’homme au char, quel qu’en soit le prix, pour se prouver à lui-même qu’il est toujours capable d’enquêter, pour prouver au monde qu’il est digne de confiance. Il a toujours des attaches en Chine dont un ami, Zhang Lin (Terry Chen), qu’il a rencontré peu après les grandes manifestations. Le destin de ces deux hommes, séparés par l’océan pacifique et par la démocratie, se croisent et s’alternent à l’écran, chacun reflétant l’autre comme dans cette terrible image sur laquelle s’achève le dernier épisode.

Cette mini-série en quatre parties est une critique du monde médiatique et politique, parfois étroitement mêlés. Si Lucy Kirkwood avait originellement situé sa pièce en 2013, elle a choisi de transposer le scénario dans l’Amérique de Trump, dans le monde post-Brexit. Lee enquête donc durant les élections américaines de 2016 qui portent Trump à la Maison Blanche et cette toile de fond amène un autre regard sur la démocratie. Parce que, alors que Zhang et certains de ses proches subissent les interrogatoires des forces chinoises, représentant les dérives totalitaires du pays, Lee rencontre des obstacles inattendus dont la présence menaçante d’un organe de la Sécurité Intérieure. Parce que, alors que Zhang et des milliers d’autres vivaient dans la peur de la répression après Tiananmen, Lee se voit interrogé pour avoir couvert une manifestation anticapitaliste. Parce que, alors que Zhang et les autres Chinois se voient imposé leur chef politique, la démocratie conduit Trump à la tête de la première puissance mondiale. Cette construction parallélique permet de prendre du recul face au monde d’en haut, tout en étant immergé dans l’enquête de Lee, dans les rouages du pouvoir et les coulisses les plus sombres de ce qui se passe au sommet. La scénariste le dit elle-même, « la répression de Tiananmen, ce qu’elle dit du contrôle de l’information, du dénigrement des oppositions politiques et de la façon dont le peuple refuse de se laisser asservir, fait écho à l’Amérique de Trump. ».

Chimerica met aussi l’accent sur la subjectivité de toute image, à l’heure de Photoshop et des retouches qui peuvent créer une scène de toute pièce. Tout est question d’interprétation. Et, d’ailleurs, le pays de la liberté interprète-t-il comme il faut cette photographie iconique ? Lucy Kirkwood s’interrogeait au micro de Télérama « Mais quelle analyse peut-on faire d’une telle photo, prise par un Américain ? Pour nous, ce manifestant est un héros, mais qu’en pensent les Chinois ? Chimerica essaye de sortir d’un regard ethnocentré. »

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