Une chambre à soi, Virginia Woolf

Dans Une chambre à soi, Virginia Woolf raconte les femmes écrivaines et celles qui auraient pu l’être, les hommes auteurs, les génies des siècles passés et leur rapport naturel à la fiction. Elle essaie de comprendre l’absence de grands noms féminins de la littérature d’hier et d’avant-hier, évoque les enfants à materner, les hommes à mettre en avant et à rassurer, la dépendance financière, l’absence d’une pièce leur appartenant à elles et à personne d’autres, leur garantissant silence et quiétude pour écrire, entre autres. Elle souligne l’absence d’éducation, d’études universitaires, le besoin de se réfugier dans une forme littéraire qui permette l’interruption du fil des pensées, l’apaisement momentané du feu de l’inspiration – le roman et pas l’essai, ni la biographie, et encore moins la poésie.

Elle cite des noms et des œuvres, des articles d’une misogynie abjecte et des femmes en avance sur leur temps malgré tout ce qui les corsetait alors, et délace les liens entre mots et sexes. Antoine, Cléopâtre, Octavie, Emma, Olivia et Chloe se frôlent, se définissent par leurs rapports les uns aux autres – les femmes liées par les hommes dont elles ne pouvaient se défaire jusqu’à tardivement, prisonnières même dans les pages. Au-delà des silhouettes de papier, Jane Austen, George Eliot, et Emily Brontë côtoient dans ces pages William Shakespeare, Samuel Taylor Coleridge et John Milton tandis que des Duchesses plus discrètes et des noms inconnus apparaissent ici et là, Virginia Woolf évoquant avec justesse des femmes injustement oubliées – et d’autres justement inventées – alors qu’elles ont pavé la voie pour leurs successeuses, y compris pour elle-même, la littérature n’étant qu’un palimpseste, un seul et même livre qui se poursuit et se poursuit encore.

Elle guide ses étudiantes vers la connaissance, s’efface au profit d’une silhouette qui est à la fois la sienne et à la fois autre, en cela si semblable aux sortilèges accomplis par la fiction. Des passages aussi délicats que l’ombre d’un papillon de nuit rompent les réflexions avant-gardistes de l’autrice, achevant de faire d’Une chambre à soi le chef d’œuvre que l’on connaît. Ces cours universitaires devenus essai féministe sont d’une modernité intimidante et d’une richesse étourdissante. En 1928, Virginia Woolf avait déjà tout compris et tâchait d’amener les autres à comprendre à leur tour.

Avec cette lecture, je participe à la redécouverte des fantastiques classiques organisée par Moka et Fanny.

Virginia Woolf – Une chambre à soi
[A Room of One’s Own]
2019 (édition originale : 1929)
Alma Books
192 pages

Ils/elles en parlent aussi : L’ourse bibliophile. Violette. Madame lit. Book’ing

16 réflexions sur “Une chambre à soi, Virginia Woolf

  1. Ping : Mémoire d’une recluse – Elisavet Moutzan-Martinengou – Moka – Au milieu des livres

  2. En constatant que tu as choisi le même titre que moi pour répondre à la thématique « Classiques » de juin, je me sens un peu rassurée, je craignais le hors sujet ! Et je suis très admirative de ta capacité à synthétiser, ton billet est aussi direct que précis…

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