Le jardin céleste, Karel Schoeman

Karel Schoeman nous offre une parenthèse britannique douce et estivale. Alors que s’ouvre le roman, Nikolaas déjeune avec Prudence à Londres, les années ayant fait grisonner leurs cheveux, étoilé leur peau. Ils effleurent du doigt ce qu’ils sont désormais et ce qu’ils ont été, toujours un peu retenus par les convenances et la timidité – après tout, ils se connaissent si peu, se revoient après si longtemps. Une fois passé le repas, éteintes leurs répliques tendues et nostalgiques, l’auteur entre dans le jardin céleste, laisse les souvenirs du héros balayer le présent. Il relate ainsi cet été suspendu dans une demeure préservée, entourée d’un parc toujours luxuriant malgré les rayons du soleil et les orages, tandis que la vie en Allemagne se durcit, que les bombes pleuvent en Espagne. La vie dans la campagne du Suffolk est alors délicieuse, empreinte de la même langueur que celle décrite par Elizabeth Jane Howard dans Étés anglais. Le cocon de la haute société anglaise est ici pénétré par un jeune sud-africain en décalage permanent, Nikolaas tâchant de se fondre dans la famille de son camarade d’Oxford, embarrassé mais ravi de découvrir de l’intérieur la vie dans le pays de Sa Majesté, loin de sa tante et de ses simagrées sans rapport aucun avec l’aristocratie qu’elle imite.

Avec beaucoup de finesse, Karel Schoeman fait ainsi revivre un passé enfui, une innocence interrompue par la lecture des journaux à chaque petit-déjeuner, face aux toasts et aux œufs frais. Les conversations sont tantôt bercées d’une candeur joyeuse, tantôt parcourues de frissons à l’idée de ce qui menace l’Europe de ces années 1930. La lumière décline alors que les pages se tournent, les vagues dorées mourant alors qu’août s’achève, les robes sur lesquelles jouait le soleil s’éclipsent, la maison se vide et s’apaise avant les bombes.

L’auteur de langue afrikaans signe ainsi un roman au charme très anglais, pastel, ciselé, mélancolique, tout en voilant son récit d’une soierie à peine translucide. Tout est vu par les yeux d’un étranger, ce qui induit une certaine distance, creuse un fossé entre les pages et le lecteur, crée une sorte de discordance venant contredire l’harmonie de ces journées parfaites et de ce jardin céleste, parallèle parfait avec les bruits blancs charriant des nouvelles funèbres venues du continent.  

Karel Schoeman – Le jardin céleste
[Die Hemeltuin – traduit de l’afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein]
Actes Sud
Octobre 2022 (rentrée littéraire 2022)
240 pages
22,50 euros

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20 réflexions sur “Le jardin céleste, Karel Schoeman

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  2. L’atmosphère de ce roman semble très différente de celle du seul titre de cette autrice que j’ai lu,  » Cette vie », plutôt sombre et tragique, mais très très beau … En tout cas, tu donnes bien envie d’entrer dans ce jardin céleste !

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  3. Je n’ai lu que Des voix parmi les ombres de cet auteur, auquel j’avais eu du mal à accrocher, en raison d’une narration un peu répétitive, et parfois obscure. Du coup, j’ai En étrange pays qui m’attend depuis plusieurs années sur mes étagères, sans que je me décide à l’en sortir.. ton avis, même s’il concerne un autre titre, pourrait bien m’encourager à le faire…

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    1. Ah, j’étais justement curieuse de ses autres titres ! Je passe donc sur le premier que tu mentionnes et j’attends avec impatience ton avis sur le second 😉 si ça peut t’aider, la narration du Jardin céleste est limpide malgré quelques messages implicites, rien de répétitif, ni d’obscur, ce n’est donc pas caractéristique de Karel Schoeman !

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