Emmanuelle Richard se glisse dans la peau de Lena, une victime qui s’ignore alors qu’elle le devient, d’une femme qu’on étrangle, qu’on domine, qu’on apeure sans qu’elle ne voie vraiment à y redire. Jusqu’à comprendre. Des années après, elle réalise, elle analyse, avec son vécu, elle voit cette fois.
Lena grandit, s’endurcit alors qu’elle vit de ferme anglaise en ferme anglaise, woofeuse qui veut oublier le malheur français, les gilets jaunes et la faillite de son entreprise, la mort brutale de ses parents. Elle croise différents hommes, différentes approches, elle vit différentes histoires, de celles qui marquent de deux façons radicalement opposées. Celle qu’elle est vingt ans plus tard doit beaucoup à sa jeune version d’elle-même, à son écologisme tranquille, à son besoin de s’abstraire du monde, du capitalisme – le même besoin que l’Alice de Sally Rooney dans Où es-tu, monde admirable ?, autre roman de la rentrée littéraire de l’Olivier. Malgré tout, l’expérience a davantage aiguisé les mots de Lena, a donné forme et profondeur à ce qu’elle devinait, à la difficulté d’aimer un homme, de se laisser séduire en toute confiance. Son propos d’aujourd’hui, de femme d’affaire accomplie qui réfléchit à hier, est radical, aimant envers les femmes qui essaient de s’apprivoiser et de s’écouter face aux hommes, à ces hommes qu’elle dénigre, qu’elle tend à tous critiquer – misandrie assumée ou peut-être plutôt, comme le dit Emmanuelle Richard, « androphobie » – sans que le lecteur ne fasse la différence entre les propos de l’héroïne, victime qui a souffert, et ceux de l’autrice, féministe notoire. Un seul échappe à cette misogynie renversée, un ancien pêcheur qui veut l’égalité, qui respecte et aime le respect – attitude qui excite la protagoniste plus que tout alors elle lui offre un panthéon de mots.
En effet, Emmanuelle Richard tâche aussi de décrypter les composantes du désir et de la libido, leur chimie qui ignore toute logique, laissant la chair s’exprimer, de plus en plus ouvertement. Elle fait de sa narratrice une femme consciente de son corps et de ses besoins, de ce qu’elle aime et de ce qu’elle veut même si ce n’était pas le cas alors, dans le château glacé, dans le château anglais d’un mauvais conte. Les phrases de l’autrice sont hachées mais viscérales, souvent non-verbales, heurtées comme les battements du cœur quand la passion, l’envie s’éveillent. À la fois trop extrême et leçon de vie, hymne à la sexualité assumée face aux brimades, à la féminité libérée, briseur de tabous et discours amalgamant, Hommes est malgré tout un livre à lire pour mieux amorcer une réflexion sur les dynamiques entre les deux sexes, sur les rapports de pouvoir, à percevoir derrière le radicalisme provoquant mais non sans fondement.
Merci aux éditions de l’Olivier qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.
Crédits photo : les dessins en arrière-plan sont de Pena.Sim (à retrouver ici sur Instagram)
Emmanuelle Richard – Hommes
Éditions de l’Olivier
19 août 2022 (rentrée littéraire d’automne 2022)
244 pages
19 euros
Ils/elles en parlent aussi : Les lectures de ffloladilettante. Le tourneur de pages. Lectures de Bernie. Pop, cultures et cie. Coquecigrues et ima-nu-ages. Topobiblioteca
Ping : Hommes – Emmanuelle Richard | Coquecigrues et ima-nu-ages
Ta critique me parle beaucoup, à titre personnel, et je crois qu’on est nombreuses dans ce cas. Peut-être que je le lirai. Encore une fois, j’aime beaucoup cette sensibilité avec laquelle tu évoques le cheminement de Léna. Comme le dit le bandeau « Ne pas baisser les yeux, jamais ».
J’aimeAimé par 1 personne
Je trouve le roman souvent trop extrême malgré tout, mais un bref échange avec l’autrice m’a fait aborder les choses un peu différemment. Il faut que je rajoute une ou deux phrases dans ma critique d’ailleurs.
Ceci dit c’est un roman qu’il est important de lire je pense, et qui me marquera à cet égard.
Merci beaucoup en tout cas !
J’aimeAimé par 1 personne
Je comprends oui. Je serais très curieuse de savoir ce qu’elle t’a dit :))
J’aimeAimé par 1 personne
Elle m’a surtout dit qu’elle avait pour projet d’écrire un livre misandre et que désormais elle le considérait surtout androphobe. J’avoue que je n’avais même pas songé à confronter les deux termes et sa phrase m’a donc fait réfléchir ;))
J’aimeAimé par 1 personne
Et moi je découvre l’androphobie, je comprends mieux ta réflexion.
J’aimeAimé par 1 personne
(Nous sommes deux !)
J’aimeJ’aime
Ping : Hommes, Emmanuelle Richard – Le Vélin et la Plume