Soleil à coudre, Jean d’Amérique

Comme Fouad El-Etr, Jean d’Amérique est poète avant d’être romancier. Un poète reconnu, loué, salué. Pour ce premier roman, l’auteur recrée les ruelles d’Haïti et ses avenues, ses lieux de plaisir obscènes et sa misère. Sa narratrice a douze ans. Elle est amoureuse, aime comme on peut aimer pour la première fois. Sa « lune » éclaire sa nuit, ces jours si sombres, sa vie dans l’ombre qui a besoin d’un soleil à coudre, d’une pièce d’espoir à tisser sur ce voile au noir profond et sale qui l’enveloppe, l’empêtre, l’emprisonne. Celui qu’elle appelle Papa, homme de main du leader de la Cité de Dieu qui n’a pour seule amante que la violence, bat sa mère ; celle qui la mise au monde boit et vend son corps aux riches hors-la-loi, ceux qui pourtant font régner l’ordre et leur état de droit, à coups de feu et taches de sang. L’abject, le viol, la mort, la crasse, la souffrance, le déchirement pavent ces rues, pourtant de terre battue. Tête Fêlée, la jeune héroïne qui cherche ses mots et écrit une lettre à sa lune depuis deux ans, rature et recommence, répète et barre, froisse le papier et se cache pour reprendre l’exercice, pour coucher son cœur sur la feuille. Ses rêves et ses fantasmes l’évadent de ce monde où même Baron, le dieu vaudou, peine à trouver sa voie.

Jean d’Amérique coud des vers, les assemble en un livre pour dire l’indicible, pour tisser un écrin à cette île de corruption et de souffrance. Sa langue est brutale et poétique, crue mais éthérée, ses mots peinant à toucher le sol poussière, planant encore dans l’air, comme espérant une épiphanie, attendant la fin du monde pour se poser et entériner l’essence de l’horreur qu’ils dépeignent. Les premières pages sont confondantes mais peu à peu l’univers de l’auteur s’ouvre à nous, presque comme un conte à la barbarie et à la bassesse sans nom. Soleil à coudre est un roman oxymorique à bien des égards, vers en prose, attachant et écœurant, fresque cruelle devenue conte, entre vérité crue et légèreté lourde des métaphores poétiques qui forment cette histoire si courte – engagement et parenthèse de lucidité onirique.

Jean d’Amérique – Soleil à coudre
Actes Sud
Mars 2021
144 pages
15 euros

Ils/elles en parlent aussi : Detwatimo. Au fil des livres. Des petits riens. Les maux dits

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