Décevant (La mer à l’envers, Marie Darrieussecq)

Ce roman a été lu dans le cadre du Prix du Roman des Étudiants France Culture / Télérama 2019.

On aimerait s’attacher à Rose, à son mari, à Gabriel et à Emma. Et à Younès, bien sûr. Mais la magie ne fonctionne pas, le miracle ne se produit pas. On reste en-dehors, à côté des préoccupations de cette Française peut-être trop stéréotypée pour attirer une quelconque sympathie, peut-être trop normale, banale, aux soucis et aux états d’âme trop nombreux. Ce n’est pas elle qui raconte, c’est un narrateur extérieur mais le discours indirect libre est utilisé tout au long du roman, comme si les pensées de Rose berçaient le récit sans que ce ne soit vraiment Rose qui raconte. C’est peut-être cela qui rebute le lecteur, qui l’empêche de franchir la frontière habituellement si poreuse entre son esprit et l’univers qui se déploie sous ses yeux.

Rose, lors d’une croisière avec ses deux enfants, est physiquement confrontée à la crise migratoire. Ce ne sont plus juste des mots, ou des photos, des pensées peinées pour des tourments qui restent un peu abstraits à nos tourments d’occidentaux chanceux. Non, c’est là, en face d’elle. Elle enjambe même un mort. Et le contact avec Younès, jeune Nigérien. Un courant électrique, un frisson les parcourent lorsqu’ils s’effleurent, elle lui tendant du café âpre, sans sucre, fatiguée de sa nuit trop courte et lui, éreinté et désabusé par sa traversée avortée, sa traversée qui s’est heurtée à ce monstre des mers, à ce paquebot énorme, à ces « HLM » flottants comme Rose considère les cabines. Elle lui donne, dans un instant inspiré, le portable de son fils, son numéro étant enregistré dans cet iPhone dernier cri – déjà désuet aux yeux de Gabriel. Voilà, le lien est créé. Retour à terre.

Les actions s’enchaînent, se fondent les unes dans les autres, s’embourbent un peu. Rose est molle, « héroïque mais seulement par moments » nous dit la quatrième de couverture, elle agace. Elle pourrait être touchante pourtant, mais ce flux de pensées transmis presque sans filtre la dessert, la rend fébrile, un peu niaise. Ses gestes seront louables pourtant, mais rien à faire, elle et sa famille n’inspirent qu’un vague intérêt très limité. Même Younès, sa peau sombre et son sourire édenté ne touchent qu’à moitié – sans doute plus que les autres parce qu’il sert de miroir, d’allégorie, il représente tous ces pauvres gens qui fuient la misère de leur pays pour trouver une misère encore plus grande au milieu d’égoïstes, ou pire, la mort en chemin.

La plume est bavarde, les phrases tantôt hachées et non-verbales, tantôt courant sur plusieurs lignes, dans une vaine tentative pour illustrer les pensées de cette héroïne en carton, qui n’inspirent que bien peu de choses sans que l’on sache vraiment dire ce qu’on lui reproche.

Ce qu’en disent les éditions POL ici.

Ils en parlent aussi : Une libraire blogueuse, Girl kissed by fire, Je me livre, Les liseuses, Nigra folia, Littécritiques, Kroniques, Les yeux dans les livres, Le coin des mots, Lose yourself in a book, C2elles, Des petits riens, Fanny Guyomard

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