Beaucoup d’adjectifs ont été employés pour qualifier Everything, Evrywhere All at Once, le grand vainqueur des Oscars 2023. Pourtant, le plus aisé serait encore de décrire ce long-métrage comme une histoire de famille – certes vue par un prisme un peu particulier.
Evelyn, son mari Waymond et leur fille Joy sont ici au centre de tout, bien davantage que toute théorie des cordes ou autres hypothèses scientifiques, nerfs névralgiques desquels dérivent les ramifications du récit. Immigrants d’origine chinoise, tout trois vivent au-dessus de leur laverie automatique, aux États-Unis où Joy est née. C’est lors d’une visite au centre des impôts que tout part à la dérive. Evelyn est alors avertie par celui qu’aurait pu être son mari s’il n’avait pas fait les mêmes choix au cours de sa vie – par un autre Waymond qui prend momentanément le contrôle de celui qu’elle connaît – que le multivers est mis en péril et qu’elle est la seule à pouvoir le sauver. En effectuant certaines actions douloureuses ou certains gestes, dans tous les cas ridicules et souvent drôles, elle peut avoir accès aux talents de celles qu’elle est dans d’autres univers – plus les choix divergents sont capitaux, plus les divergences entre leur vie sont importantes et plus la personnalité d’Evelyn diffère. Bientôt, elle devient donc maître de kung-fu, augmente sa capacité pulmonaire grâce à son double chanteuse et apprend même en quelques instants à danser avec un couteau. Autant de facettes qui ont permis à Michelle Yeoh – Evelyn –, partenaire de Jackie Chan dans plusieurs réalisations, de s’en donner à cœur joie. Il en va de même pour Ke Huy Quan – Waymond – qui a été cascadeur et doublure dans de nombreux films avant ce rôle. Les deux acteurs parviennent d’ailleurs à passer sans peine d’un genre à l’autre, suivant le rythme effréné exigé par le film, se glissant d’un personnage à l’autre tandis que des hôtes d’autres univers s’invitent dans leur corps.
Everything, Everywhere All at Once est donc à la fois un film de combat, une variation SF sur la théorie du multivers, une comédie dramatique mâtinée d’absurde et d’humour trivial, mais il met avant tout l’accent sur l’importance des liens filiaux et maritaux – le mariage d’Evelyn et Waymond va mal et lui envisage même de demander le divorce ; Joy est lesbienne et souffre de voir sa mère si réprobatrice et si peu démonstrative ; le père d’Evelyn, un Chinois âgé, est très conservateur et a honte de sa fille fugueuse qui a quitté son pays pour le rêve américain.
Les réalisateurs, surnommés les Daniels – Daniel Scheinert et Daniel Kwan – imaginent ainsi des situations banales pour mieux plonger dans le complexe et paradoxalement souligner à quel point la simplicité prime dans la vie affective. En effet, grâce à ces incursions dans des vies qu’elle n’a finalement pas choisies – elle n’est pas restée en Chine, n’a pas été agressée, n’est donc pas venue maître de kung-fu, ni chanteuse –, Evelyn prend conscience de ceux qui l’entourent : ils perdent enfin cette invisibilité conférée par l’habitude. Daniel Kwan résume l’œuvre de cette manière : « Nous pourrions dire un million de choses (…), mais la chose la plus simple et la plus honnête, c’est que c’est l’histoire d’une mère qui apprend à faire attention à sa famille au milieu du chaos. » Son amour pour eux prend une place nouvelle dans son cœur et dans sa manière de raisonner, ce que la seconde et troisième parties s’attachent à démontrer.
« Everything », le premier tiers du long-métrage, est le plus finement conçu et le plus abouti, là où « Everywhere » tend à se perdre dans les scènes de combat et dans les changements de décors, fourmillant encore davantage de changements de focale et de stimuli visuels – l’Oscar du meilleur montage n’est pas volé. Quant à « All at once », il réconcilie les deux premiers chapitres, confère une certaine unicité à ce long-métrage, aussi dense et discordant qu’étrangement harmonieux, intellectuel qu’accessible. Les scènes s’imbriquent les unes dans les autres, effet kaléidoscopique de miroir ou de tunnel, étourdissant et bluffant. Malgré tout, cet accent mis sur la famille permet aux émotions de se frayer une place dans ce pandémonium chamarré, patchwork de clins d’œil à des mangas, de références cinématographiques – de Ratatouille à l’univers de Wong Kar-Wai en passant par Rick & Morty ou Matrix – de rires, de coups, de larmes et de couleurs vives relayant le gris d’un quotidien d’immigrés morne et effrayant.
Dans le même esprit (en plus poétique) : The French Dispatch de Wes Anderson
De : Daniel Scheinert, Daniel Kwan
Avec : Michelle Yeoh, Ke Huy Quan, Jamie Lee Curtis
Genre : SF, action, comédie
Durée : 2h19
Repris en salles / à voir sur OCS
Ils/elles en parlent aussi : Le fauteuil. Mediashow. Les chroniques de Cliffhanger et Co. Ma vie de bib. Le 7ème café. Séries de films. Darkstar films. Vampilou fait son cinéma. Yoda Bor. Ma toute petite culture. Ce que j’en dis…. Cinéluctable. La culture dans tous ses états
A mon sens, dans son style bien particulier qui me rappelle le premier Matrix, c’est un film passionnant, fascinant. Quel plaisir de retrouver Michelle Yeoh ! Du grand cinéma ! ✨👏🙏📽😊
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Je pense que j’ai manqué beaucoup des références, n’ayant pas la culture cinématographique qui va avec, mais malgré tout j’ai apprécié son originalité et sa complexité 😊
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C’est humble de le reconnaître. Tu as tellement d’autres domaines où tu excelles Cécile ! 😊
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C’est gentil, merci 😊
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Eh oui, c’est une vraie histoire de famille à mon sens également, forte de messages et finalement, extrêmement touchante ❤️
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Je suis tout à fait d’accord avec toi 😘
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Merci à toi. J’ai vraiment beaucoup aimé ce film, qu’il faut découvrir en salles, je pense. Il fait preuve d’une inventivité qui fait de plus en plus défaut au cinéma entre films formatés (Les Marvel et autres Disney) et films tirés d’une histoire vraie (qui commencent à sérieusement m’agacer dans leur bienpensance généralisée). Bref, et même s’il n’est pas exempt de défauts, je trouve le film des Daniel’s hautement recommandable. 😀
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Oui c’est vrai qu’en salles ça doit valoir le coup même si j’ai apprécié de pouvoir le regarder en fractionné ! Quant à son inventivité, elle est indéniable 😉 donc oui, un film à voir pour sa singularité survitaminée !
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Malheureusement je n’ai pas tenu jusqu’à la fin. J’ai compris l’objectif, je l’ai vu en filigrane mais j’ai trouvé l’enrobage ( kung-fu, comédie parfois grotesque) trop lourd.
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C’est vrai que ce n’est pas très fin et que l’esprit ne passe pas loin de la surchauffe – donc je comprends la saturation (je l’ai regardé en plusieurs fois). Mais je me suis amusée : c’est tellement différent de ce que j’ai l’habitude de regarder et de ce qui est généralement primé !
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J’avais moyennement accroché – mais lui trouve en effet quelques bons moments loufoques.
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J’ai surtout aimé que ce soit un film de ce genre qui sorte gagnant des Oscars. Sinon j’ai apprécié la première partie mais la deuxième m’a parue trop longue.
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Un ami vient le voir hier : »J’ai perdu 2h20 de ma vie ». Mais tu as raison ça sort bien des autoroutes des blockbuster…
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C’est une manière de voir les choses ! Oui, et puis je trouve que c’est à la fois « populaire » et intello donc le mélange m’a plu.
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