Intimités, Katie Kitamura

Intimités est un roman qui porte particulièrement bien son nom. Katie Kitamura prête sa voix à une femme qui n’est ni d’ici ni d’ailleurs, en passage longue durée à La Haye où elle travaille désormais. Interprète à la Cour Internationale, elle exerce un métier qui illustre le ton du livre ainsi que son atmosphère. Elle s’immisce dans la vie de témoins et d’accusés, dans leurs oreilles, frôlant leur existence comme la sienne est frôlée puis ignorée, dédaignée – par ceux pour qui elle traduit mais aussi par son entourage pour qui elle semble si transparente. Son amant ne lui révèle que quelques éléments de sa vie, à la fois possessif et distant ; son amie commissaire d’exposition apparait puis disparaît, présente sans vraiment l’être ; les silhouettes ont des contours flous mais certains détails ressortent, décrits de manière étonnamment perçante – un tableau, la relation de l’héroïne au langage. L’autrice s’appesantit sur des sensations fuyantes, sur des sentiments moins éphémères mais tout aussi difficiles à saisir, ces gros plans contribuant au malaise ambiant, à l’impression que la narratrice n’est pas à sa place.

Intimités est un concentré de toute l’ambiguïté d’une vie sociale à la fois profonde et superficielle, narré par une femme qui sait tout des crimes les plus atroces commis par les hommes jugés par la Cour Internationale mais sans parvenir à en saisir l’essence. Concentrée sur les mots, elle en oublie la sémantique, laisse filer le sang sans en avoir vraiment conscience, comme elle laisse filer l’attention des uns, l’amour des autres, imperceptiblement.

Les sphères intimes se chevauchent pour mieux se dissoudre dans le monde impersonnel de La Haye, oppressant par sa violence retenue. L’absence apparente d’intrigue camoufle en réalité tout un système sous-jacent de réflexions et d’analyses, d’enjeux lilliputiens et de douleurs sourdes provoquant un certain désarroi. Avec subtilité, l’autrice multiplie les micro-agressions envers sa protagoniste, les stimuli – jusqu’à l’égarer encore davantage. Elle crée ainsi un climat d’animosité latente qui imprègne peu à peu les pages, tache les doigts du lecteur et empèse son cœur et sa conscience – Stock, son éditeur, l’écrit : « Katie Kitamura dissèque ces légères mais insistantes perturbations créées par l’Autre, comme une caresse répétée qui, peu à peu, devient une gêne sur notre peau. »

Merci à Stock et à NetGalley pour cette lecture.

Katie Kitamura – Intimités
[Intimacies – traduit par Céline Leroy]
Stock
1er février 2023 (rentrée littéraire d’hiver 2023)
250 pages
20,90 euros

Ils/elles en parlent aussi : Voyages au fil des pages. Redhead

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