Abondance, Jakob Guanzon

Jakob Guanzon signe un premier livre salué par Douglas Stuart avec qui le primo-romancier partage beaucoup. Le même traducteur, Charles Bonnot, prête sa plume aux deux hommes qui s’intéressent chacun aux relations filiales – là où Douglas Stuart se focalisait sur une mère alcoolique maltraitant son fils, Jakob Guanzon s’intéresse lui à Henry, un père dépassé par la vie mais empli d’un amour incommensurable. L’Écosse est remplacée par les États-Unis, les rues noires de Sighthill s’effaçant derrière les rayons surchargés des supermarchés américains, leurs couleurs criardes narguant le héros d’Abondance. Celui qui se fait appeler Tatay par son fils – souvenir d’une ascendance philippine qui ne demeure que dans son teint, bien loin de sa prévalence dans Nos cœurs si loin chez le même éditeur – est démuni, ne possédant que son pick-up et la chair de sa chair pour faire face au monde. Sans argent, sans perspective, un casier judiciaire lui collant à la peau, il erre sur les routes, tâchant malgré tout de respecter les horaires de l’école de Junior, des repas, de lui permettre de se laver aussi souvent que possible. En alternance, se dessine la vie de Henry avant ces deux jours sur lesquels se concentre l’intrigue, avant la paternité solitaire bien trop lourde à porter, les remords et l’inquiétude – s’esquissent ainsi l’adolescence de cet homme, son père taciturne et si difficile à satisfaire, le deuil maternel, l’addiction, les mauvaises rencontres qui menèrent à la prison et donc, indirectement, à cette situation impossible.

La plume de l’auteur est d’une précision clinique, d’une justesse implacable. Jakob Guanzon use de métaphores obsédantes, souvent crispantes, dans lesquelles il mêle douceur et sordide avec une brutale lucidité. La poésie de certains détails, de descriptions rêveuses ou voilées par l’alcool sont balayées d’un revers de main par le glauque de ce qui suit, par un vocabulaire soudain vif, aussi cru que familier qui érigent des décors sidérants de réalisme. Ces mots durs cohabitent avec des termes d’une grande beauté, presque majestueux à leurs côtés. Cette langue inimitable et lancinante souligne de façon bouleversante l’amour d’un père pour son fils tout en dénonçant les absurdités de la société de consommation, la déshumanisation du monde et les circonstances qui s’acharnent, encore et encore, quand les mauvais choix s’accumulent. L’auteur rend ainsi palpable le malaise d’un homme, ses espoirs brûlants et ses peurs qui le sont encore davantage, donne à voir les pièges cachés ici et là, inévitables pour certains.

Un grand merci à La Croisée et à NetGalley pour cette lecture bouleversante.

Jakob Guanzon – Abondance
[Abundance – traduit par Charles Bonnot]
La Croisée
11 janvier 2023 (rentrée littéraire d’hiver 2023)
336 pages
22 euros

Ils/ elles en parlent aussi : Julie à mi mots. Aux vents des mots. Dealer de lignes. Temps de lecture

4 réflexions sur “Abondance, Jakob Guanzon

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