Comme de coutume, William Boyle s’installe à Brooklyn pour quatre cents pages, quartier peuplé d’Italiens, de mafieux et d’adolescents qui rêvent de s’échapper, un sac de billets sur le dos. Dans Éteindre la lune, les héros sont moins nombreux que dans La cité des marges, l’intrigue est plus resserrée, ce qui lui permet paradoxalement de gagner en amplitude. Le prologue s’ancre en 1996 mais cinq ans passent en une page blanche et c’est au début des années 2000 que se déroule l’histoire que nous raconte William Boyle – même si tout découle de cet accident regrettable, jeux d’enfants aux conséquences d’adultes, tragiques, qui façonneront les destins. L’auteur se concentre sur les différents acteurs de ce drame, ceux qui étaient en son cœur et ceux que les conséquences ont effleurés de plus loin, éteignant leur lune par ricochet.
« La lune surplombe le quartier tel le néon à l’entrée du train fantôme d’un parc d’attractions, éclaboussant de sa lumière le bitume, les capots des voitures, les statues de la Vierge dans les jardins envahis d’herbes folles, les vitres brisées, les portes abîmées, les trottoirs et les cœurs fissurés, les toits, l’ordre et le désordre, tout ce qui est caché ou exposé. » (page 407)
Coups de feu éclatent ici et là, mais contrairement aux truands de L’amitié est un cadeau à se faire ou de La cité des marges, ce sont encore les techniques les plus douces et les plus silencieuses qu’affectionnent dans ce roman les tueurs professionnels et les assassins occasionnels – crosse, oreiller en plume et caillou sont cette fois les armes de choix des héros de Brooklyn. Ces sons étouffés sont camouflés par la bande-son vintage offerte par l’ancien disquaire devenu écrivain, et si les vinyles ne sont déjà plus qu’un souvenir en ce tout début du XXIème siècle, l’atmosphère est malgré tout imprégnée d’un goût d’hier – un hier presque encore perceptible depuis 2023, après seulement vingt ans. Au-delà des magouilles mafieuses qui sont évoquées mais restent longtemps en périphérie de l’intrigue, William Boyle s’attache également à saisir les émotions de Lily, Francesca, Bobby, Charlie et Jack. Trois de ces focalisateurs sont des adolescents ou des adultes à peine sortis de l’enfance, ce qui confère un point de vue différent à l’auteur, celui de jeunes gens plus innocents et libres – ou qui aspirent à l’être. Ils découvrent la vie, pleins d’espoirs, mais ont déjà le cœur gros, prêt à être lacéré par les montagnes russes d’une histoire d’amour, comète dans leur ciel, cherchant des figures paternelles et ravalant leur deuil grâce à Jack. Ainsi, le manque et la résilience face aux larmes, au sang, sont au cœur de ce roman, aussi drôle qu’émouvant. Les dialogues font mouche, saupoudrés de sentiments et d’humour décalé, tandis que situations cocasses, scènes sanglantes et moments touchants s’alternent, faisant d’Éteindre la lune une œuvre hybride d’autant plus réussie.
Merci aux éditions Gallmeister qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.
William Boyle – Éteindre la lune
[Shoot the Moonlight Out – traduit par Simon Baril]
Gallmeister
5 janvier 2023 (rentrée littéraire d’hiver 2023)
416 pages
24,80 euros
Ils/elles en parlent aussi : Read look hear. The killer inside me. Tasha’s books. From Richmond to Tacoma
Bonjour Céciloule,
Merci pour la critique.
C’est le troisième livre écrit par cet auteur que je lis et je ne suis pas déçu.
Je suis d’accord avec toi quand tu parles d’une histoire drôle et émouvante.
Il y a des petits passages où je me dis « mais quel délire » parce que ca vient comme ça, agrémenter un peu l’histoire. Je pense au personnage de Charlie.
Contrairement aux autres romans (la cité des marges ou l’amitié est un cadeau à se faire), tous les personnages sont touchants (sauf les plus méchants).
Dès la préface on comprend que l’accent sera mis sur cette émotion.
Bonne journée
A bientôt 🙂
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Bonjour Maxime,
C’est effectivement ce mélange d’émotions, d’action et d’absurde qui m’a plu et qui, à mon sens, est plus que jamais la signature de William Boyle.
Merci de ton passage et à bientôt 🙂
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J’aime beaucoup William Boyle.
Je trouve ses livres touchants. Quel beau titre en plus !
Merci Cécile pour ta critique, je vais le lire prochainement.
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Et celui-ci l’est particulièrement, touchant.
Merci à toi et en espérant qu’il te plaise (mais j’ai peu de doutes !)
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« si les vinyles ne sont déjà plus qu’un souvenir en ce début du XXème siècle », sans doute plutôt le XXIème, encore qu’ils semblent jouer les prolongations et vouloir conserver le charme de leur son vintage (personnellement, j’en raffole).
En tout cas, encore un titre qui fait envie chez les excellents Gallmeister.
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Ah oui, merci de ton œil de lynx, je vais corriger ça ! Effectivement, ils reviennent en force (et moi aussi j’adore) mais en 2003 il me semble qu’ils avaient plus ou moins disparu…
Quant au roman en lui-même, je te le conseille, c’est évident !
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je le lirais car j’apprécie cet auteur. merci
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Bonne lecture alors !
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