Agustina est née Agustin. Ses parents ne comprennent pas vraiment, ne respectent pas non plus totalement. Juan, lui, n’essaie pas de saisir le pourquoi du comment : il l’aime et l’a même épousée. Quant à Paula, la sœur de Juan, elle n’en a pas grand-chose à faire et préfère passer ses journées à écrire dans sa chambre, face à son ordinateur, abstraite au monde grâce au « boum, boum, boum » de ses « drums and beats ». Elle a commencé son roman plus de quinze ans auparavant et peine désormais à le laisser exister par lui-même, en-dehors d’elle. Et puis viennent s’immiscer deux autres narrateurs, Verónica, scénariste d’une série américaine, blasée et haïssant son travail, et Matthew qui peine tout d’abord à se situer par rapport aux quatre autres : quel est son rôle dans Boum, boum, boum, se demande le lecteur. Les temporalités sont mélangées et chaque narrateur écrit sa version de l’histoire à un moment distinct : les instantanés s’intercalent ainsi avant ou après le récit des autres sans qu’aucune information datée ne soit donnée. Les fils se tissent lentement, les pièces s’imbriquent alors que passent les pages, qu’Éros et Thanatos se fondent l’un dans l’autre, que les tours d’horloge s’accordent, que les héros en viennent à se relayer pour raconter une même scène comme vue par de multiples caméras.
Nicolás Giacobone évoque ainsi la transidentité, la difficile acceptation des proches, le mépris des moins ouverts d’esprit, mais aussi l’identité en général. De fait, cette structure en patchwork emprunte presque à la lente construction identitaire que vivent ses protagonistes. Par ailleurs, ceux-ci, au-delà de ces oscillations de genre et de ces sexualités contrariées, sont aussi et surtout reliés par l’art, un autre processus qui suppose un morcellement, la scission d’un individu pour atteindre la fusion créatrice. Juan crée des installations conceptuelles après avoir abandonné la peinture ; Paula écrit ; Agustina rêve d’être actrice et, à défaut, monte une pièce de théâtre ; Verónica aimerait être autrice mais doit peiner à imaginer des épisodes sans intérêt. Matthew est l’outsider, là encore, Américain quand les autres sont Argentins, marié et père de famille là où les autres flirtent davantage avec les normes – les apparences sont parfois trompeuses.
L’auteur, scénariste phare d’Alejandro González Iñárritu, crée donc un court roman à la structure étonnante et ménageant judicieusement les cliffhangers. En filigrane de son histoire à la fois multiple et unitaire, il donne à lire ses réflexions sur l’art. Le style est simple, répétitif parfois, et percutant – quoique moins que les faits qu’il relate.
Merci aux éditions Sonatine et à NetGalley pour cette lecture.
Nicolás Giacobone – Boum, boum, boum
[Boum, boum, boum – traduit par Margot Nguyen-Béraud]
Sonatine
10 novembre 2022
288 pages
21 euros
Ils/elles en parlent aussi : Baz’art. Entre deux livres
Un sujet jamais facile à aborder, encore moins en roman. Le nom de l’auteur me dis quelque chose. La transidentité est une souffrance car elle l’objet de nombreux raccourcis, dû à la méconnaissance de cette réalité longtemps cachée. Merci d’en parler brillamment Cécile 😊
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Oh merci à toi 😊 C’est un roman efficace qui interroge aussi grâce à sa construction originale. Tu as sans doute déjà vu le nom de l’auteur dans le milieu filmique puisqu’il collabore souvent avec Iñarittu.
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On reconnaît bien les entrelacs existentiels croisés dans les films d’Iñárritu. Sans doute pas d’une lecture facile on dirait.
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C’est joliment dit. C’est effectivement une lecture assez intense mais je m’attendais à pire je crois. Le roman est vif et percutant, ce qui donne davantage de force au propos, pourtant multiple.
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