La vie clandestine, Monica Sabolo

En cherchant un sujet, en s’enfouissant sous les journaux du passé, se gavant d’émissions sur des faits divers d’hier, Monica Sabolo veut aussi s’éloigner d’elle, de son histoire. Écrire un livre qui ne la concerne pas vraiment – si tant est qu’un auteur puisse ne pas être concerné par ce qu’il rédige. Et puis arrivent ces informations minimes sur Action Directe, sur le meurtre de Georges Besse, le patron de Renault, en 1986. Cela remue aussi quelque chose en elle, cette vie clandestine des militants, ces masques qui révèlent plus qu’ils ne cachent. Ces deux femmes auxquelles elle essaie de se relier, chez qui elle cherche des détails, des fêlures qui sont les siennes. Se dessinent alors en parallèle deux livres, celui qui dit l’enfance, l’adolescence, les traumatismes de l’écrivaine, et celui qui relate la quête compulsive, condense des informations factuelles sur ce groupe anarchiste qui sévit alors qu’elle-même est une fillette bientôt jeune fille, sage, pas vraiment bien dans sa peau, décalée.

Monica Sabolo mêle ces deux enquêtes, ces deux rythmes, l’un très intimiste mais froid aussi, nécessairement, et l’autre très éloigné, sans vraiment de chair avant les rencontres, les visages qu’elle peut enfin coupler à ces successions de faits sans véritable chronologie. Elle met à distance sa propre histoire tout en essayant de faire la paix avec elle, de se la réapproprier, crée des liens étranges pour un lecteur extérieur à sa vie entre son existence et Action Directe – fracture entre le bien et le mal, douleur de la perte, conviction d’être du bon côté de la frontière, pourtant pas si nette. Les descriptions des faits d’armes manquent de corps, journalistiques, loin du roman attendu – au fond, le lecteur en apprend davantage sur elle que sur ces anarchistes qui la fascinent. Elle s’épanche, tant en les racontant eux qu’en se racontant elle, et son père, et sa famille. Ainsi, étonnamment, des ponts se bâtissent entre Monica Sabolo, Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon dont les noms de famille sont toujours spécifiés, comme un moyen de rester dans le plus pur réalisme, presque dans le Nouveau Journalisme, comme un moyen de contrecarrer la fuite des souvenirs, l’obscurité qui mange la mémoire, la déforme, la gondole. Des vétilles, des éclats de lumière, des mots, des oiseaux qui apparaissent dans un ciel puis resurgissent dans un autre azur – mais peut-être n’y en-a-t-il qu’un – lui permettent de passer d’une chasse à l’autre, d’un récit à l’autre, même si l’ensemble reste désuni, parfois compliqué à saisir dans sa globalité malgré la plume de l’autrice, aussi ciselée que dans Eden.

Ce roman est en lice pour le Prix du Roman des Etudiants France-Culture / Télérama, le Prix Goncourt, le Renaudot et le Médicis 2022.

Merci à Lireka pour ce beau partenariat.

Monica Sabolo – La vie clandestine
Gallimard
18 août 2022 (rentrée littéraire d’automne 2022)
320 pages
21 euros

Ils/elles en parlent aussi : Christlbouquine. Sur mes brizées. Les livres de K79. Le blog littéraire de Calliope. Au fil des livres. Coquecigrues et ima-nu-ages. Sur la route de Jostein

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