William, le héros de ce roman, est embaumeur. Il prépare les corps pour que les vivants puissent emporter une image paisible des défunts, rend ainsi hommage aux morts, les respecte selon ses propres termes. Il perpétue la tradition familiale et travaille dans l’entreprise tenue par son oncle depuis le décès de son père. Cependant, avant même d’intégrer Lavery & Sons comme il se doit, il part pour Aberfan, au Pays de Galles. Nous sommes en 1966 et un terril vient de s’effondrer sur l’école de ce village, enfouissant des centaines d’enfants sous les déblais miniers. Alors William travaille des heures dans l’église pour rendre cette épreuve moins terrible pour les parents, quitte à rester marqué à vie par ce traumatisme qui vient s’ajouter aux autres, à ses cicatrices encore à vif.
Jo Browning Wroe, qui a grandi dans un crematorium dans le Nord de l’Angleterre, fait aussi de William un choriste hors-pair. Désormais homme sensible et délicat, plein d’abnégation, il était un enfant sérieux à la voix d’ange : la primo-romancière raconte sa jeunesse dans un pensionnat pour garçons de chœur, ses quatre ans de frasques discrètes, divisant ainsi le récit en plusieurs pans – école pour garçons qui n’est pas sans rappeler Moi Boy de Roald Dahl ou encore Des diables et des saints de Jean-Baptiste d’Andrea, le sadisme des adultes en moins (quoique) ; quotidien d’un embaumeur en apprentissage, d’un amoureux timide ; routine d’un couple meurtri par des douleurs invisibles ; souvenirs amers. De ce fait, elle crée un personnage masculin profond, le fait grandir peu à peu, d’une époque de sa jeunesse à l’autre, en avant puis en arrière. Maîtresse du temps, elle revient sur des moments précis, use d’ellipses pour ensuite remonter à rebours les ans. Elle évite ainsi la monotonie et donne davantage de corps à son héros qui se révèle peu à peu, presque à l’envers parfois, les cicatrices visibles avant les entailles. William est touchant dans ses faiblesses, dans sa volonté de s’effacer pour les autres, de vouloir réunir sa petite famille, fracturée depuis toujours mais encore davantage depuis la mort de son père. Jo Browning Wroe a une plume visuelle, décrivant lieux et atmosphères avec sensibilité, effleurant du doigt les mœurs conservatrices des années 1960 puis 70, des notes de musique s’envolant en arrière-plan pour mieux harmoniser les différentes facettes de ce livre qui, par ailleurs, peut sembler un peu désuni.
Si certains événements sont peut-être trop prévisibles, éclaircies dans un ciel anglais bien gris, Une terrible délicatesse s’appesantit malgré tout avec bienveillance et finesse sur les relations humaines, sur les souvenirs et les traumatismes avec lesquels faire la paix pour avancer, bercé par la musique et les amitiés indéfectibles.
Merci aux éditions Les Escales et à NetGalley pour cette lecture.
Jo Browning Wroe – Une terrible délicatesse
[A Terrible Kindness – traduit par Carine Chichereau]
Les Escales
25 août 2022 (rentrée littéraire d’automne 2022)
448 pages
22 euros
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J’avais hésité à en faire une demande sur Netgalley, la gravité du sujet me faisait un peu peur. Ta chronique met parfaitement ce titre en valeur.
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Certains passages sont durs mais dans l’ensemble l’autrice parvient à rester sobre et à faire triompher la lumière (parfois un peu trop d’ailleurs).
Merci beaucoup en tout cas !
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Il fera partie de mes prochaines lectures ! Pour rester dans le thème, je recommande le formidable roman d’Isabelle Duquesnoy « L’embaumeur ou l’odieuse confession de Victor Renard ».
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Je note, merci ! Et bonne lecture !
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Je suis en train de le terminer. J’ai été assez happée par cette histoire que j’ai trouvé touchante.
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Oui, j’ai trouvé l’histoire touchante aussi mais certains twists m’ont paru un peu faciles et puis l’ensemble manque parfois d’harmonie à mon sens… mais je ne nie pas que c’est une belle histoire !
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je l’ai bien aimé je n’avais rien lu sur les embaumeurs ni sur la tragédie d’Aberfam alors j’ai eu envie de creuser après avoir refermé le livre…
Je ne peux pas comparer car je n’ai pas encore lu « Des diables et des saints » qui me narguent dans ma PAL et je note au passage le livre de Roald Dahl que je ne connaissais pas 🙂
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Oui, je me souviens de ta critique qu’il faut que j’aille revoir d’ailleurs ! J’ai globalement aimé, je l’ai juste trouvé un peu trop doux parfois, un peu désuni aussi…
J’avais beaucoup accroché à Moi boy, lu quand j’étais au collège (je crois) mais on peut lire et relire Roald Dahl à tout âge et c’est ça qui est bien 😊 quant à Des diables et des saints, j’avais aimé mais sans faire partie de la déferlante de coups de cœur absolu pour ce roman.
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en fait je n’ai lu aucun livre de Roald Dahl, l’ai « Charlie et la chocolaterie dans ma PAL et c’est tout 🙂
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Il va falloir y remédier 😉
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J’avais envie de le lire. Ton avis me laisse penser que ce n’est pas une priorité.
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C’est une belle histoire, sensible et touchante, mais qui n’est pas exempte de défauts. Ce roman a aussi le mérite de parler d’un corps de métier peu connu et de la catastrophe d’Aberfan mais l’ensemble manque parfois de liant et la plume reste très simple.
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