Ce roman n’est pas l’un de ceux qui se lisent et s’abandonnent avec un sentiment d’inachevé, avec la hâte de tourner la page. C’est un livre qui fait réfléchir – beaucoup réfléchir. Sorte de biographie (a priori) fictive d’une professeure, Elizabeth Finch, qui a marqué l’existence du narrateur, cette œuvre éponyme s’appesantit sur les mystères couvés par cette femme – dont il est pourtant dit qu’elle n’était pas mystérieuse –, mais aussi sur des pans de notre Histoire, de l’Histoire anglaise, sur la religion monothéiste et ses effets dévastateurs. Neil rencontre Mrs. Finch à trente ans et voit son esprit grandir grâce à elle, s’ouvrir. Vieille école, sans doute, un peu désuète dans son style, unique dans sa manière de penser, elle était un phénomène. Dans cette mise en abyme, Julian Barnes la raconte elle, à travers ses cours, ses échanges avec Neil, les carnets presque cryptés qu’elle lui lègue. Il aborde aussi sa fascination pour Julien l’Apostat, dernier empereur païen romain dont la chute coïncida avec le triomphe du christianisme – la déchéance du monde, selon cette professeure aux idées bien spécifiques ; le narrateur écrit même une biographie très succincte de cet auguste homme mort il y a près de 1800 ans, sorte de papier universitaire dense et enrichissant, pour tenir une promesse.
Neil examine ses souvenirs, se plonge dans ces lignes érudites qu’elle lui a abandonnées, les relie aux cours qu’elle donnait, tâche de saisir qui elle est, qui elle était, mais aussi de comprendre les concepts qu’elle abordait, les aphorismes qu’elle semait, les citations dont elle les abreuvait, lui et ses autres élèves, paradoxalement avec parcimonie et intelligence, et le lecteur à travers lui. De la vie du narrateur, ne sera dit que peu mais transparaissent entre les lignes, des détails, apparaît derrière son amour si particulier pour cette femme captivante, sa personnalité.
Elizabeth Finch est complexe, presque autant que l’héroïne, indéniablement verbeux mais il s’en dégage une sagesse et une érudition presque apaisantes. Les théories historiques et philosophiques abordées par Julian Barnes sont débattues à la manière socratique, ouvrant l’esprit du lecteur et l’invitant lui aussi à entamer une réflexion sur les religions, sur le négativisme des termes débutant par « mono- » et sur la vie en général, à adopter une vision révisionniste de l’Histoire et à oublier cette idée que l’Homme tend vers le progrès alors que le temps passe.
Merci aux éditions Mercure de France qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.
Julian Barnes – Elizabeth Finch
[Elizabeth Finch – traduit par Jean-Pierre Aoustin]
Mercure de France
1er septembre 2022 (rentrée littéraire d’automne 2022)
208 pages
19 euros
Ils/elles en parlent aussi : Le tourneur de pages. Sur la route de Jostein
Je renchéris sur « Une fille, qui danse » : que j’ai lu et aimé, sans que cela soit un coup de coeur. Ce titre-là me tente bien car je trouve qu’il sort des sentiers battus de ce qui est publié en général. Et le fait qu’il y ait des passages exigeants me semble être un bon signe.
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Bon, je me renseignerai sur ses autres romans alors.
Oui, c’est tout à fait ça, un livre différent, qui hésite entre la biographie romancée fictive, l’essai historique, effleure la philosophie mais reste surtout un superbe portrait de femme.
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je me le note… j’ai adoré « Le fracas du temps » de l’auteur et un peu moins « Une fille qui danse » 🙂
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Je le découvrais avec ce titre, enfin, et j’ai aimé, vraiment. Certaines pages sont ardues, mais c’est un beau roman, sage et érudit.
J’avais Une fille, qui danse dans ma wishlist mais je vais me renseigner davantage du coup 🙂
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j’ai vraiment adoré « Le fracas du temps »
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Je note ! Merci 🙂
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