Le chemin des âmes, Joseph Boyden

Les strates temporelles se superposent ici, jusqu’à presque se fondre l’une dans l’autre. Niska, la tante du héros, tâche de le maintenir en vie, à la surface des choses, loin des profondeurs du coma éthéré induit par la morphine, alors elle lui raconte des épisodes de sa propre enfance puis de son adolescence, et de sa jeunesse à lui, auprès d’elle, après le pensionnat tenu par les sœurs. Le corps de Xavier est là, étendu dans le canoë de la vieille sage, ses oreilles entendent peu mais n’écoutent pas ; son esprit vogue sur les flots de la « médecine », de retour dans les tranchées où il a combattu accompagné de son frère de cœur de toujours, Elijah. Excellents tireurs, chasseurs hors-pairs depuis leur plus jeune âge, les deux garçons devinrent bien vite des tireurs embusqués, échappant aux assauts meurtriers mais pas au danger qui étouffait alors chacun. Xavier se perd dans ces souvenirs, sans doute en partance pour le chemin des âmes, entre la vie et la mort, raccroché à l’existence par des lambeaux de réminiscences et des éclairs de souffrance – celle d’hier et celle d’aujourd’hui qui fusionnent en un seul temps présent.

Joseph Boyden s’appesantit sur les blessures de l’esprit autant que sur celles du corps, rendant tangibles ces moments de flottement où la chronologie n’a plus cours. Pourtant, Le chemin des âmes se dessine clairement pour le lecteur, sans à-coups mais tout en fondues au noir. L’auteur canadien dépeint le quotidien des Poilus avec finesse, détails et beaucoup d’humanité malgré l’appétence de certains de ses personnages pour la chasse à l’homme. Xavier, le narrateur principal, revit ces moments pleins de dureté qui l’ont conduit à cet état de mollesse douloureuse, aux portes de l’inconscience, tandis que son esprit, parfois, interrompt ce tourbillon de boue, de sang et de camaraderie, bercé par les récits de Niska qui lui rappellent l’assimilation forcée et résistée, les croyances crees, la communion avec la forêt et l’eau, la répulsion ressentie à l’approche des villes. Joseph Boyden parvient ainsi à aborder en miroir deux sujets douloureux : la Grande Guerre des soldats et non celle des officiers, ainsi que le racisme et les violences subies par les premières nations au Canada. Ces deux thèmes poignants se mêlent, chacun entrecoupant l’autre pour mieux permettre au lecteur d’assimiler ce qu’il lit et de respirer entre deux canonnades. Les phrases se suivent, souvent dans une sorte de staccato qui n’est pas sans rappeler le sifflement des balles, la pulsation de la terre ­– un battement sourd qui vibre sous les pieds de Niska pendant ses visions, mais aussi sous ceux de Xavier et d’Elijah alors que les obus pleuvent.

Joseph Boyden – Le chemin des âmes
[Three Day Road – traduit par Hugues Leroy]
Livre de poche (première édition : Terres d’Amérique)
2008
480 pages
7,90 euros

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