Entre rêves, fantasmes, visions étranges, souvenirs et réalité, ce premier roman vacille tout comme la silhouette de ses héros, en contre-jour, semblables à des mirages prêts à se dissoudre dans l’air. Les années 1950 se déploient, d’une page à l’autre, dans toute leur complexité à la fois obscure et lumineuse. Shannon Pufahl fait de son livre un condensé d’atmosphères – du désert baigné par le soleil qui dispute le ciel bleu à la fumée des bombes atomiques, aux parcs glauques de Tijuana, à peine éclairés ; de Fremont Street et ses casinos kaléidoscopiques à l’hippodrome Del Mar de San Diego, baigné par l’odeur saline de la mer et de la sueur équine.
Grâce à son don pour percevoir et décrire la lumière, entre lueurs, rayons éclatants et néons brouillés, l’autrice parvient à faire de son roman un véritable tourbillon d’ambiances poétiques, peuplé d’images et de métaphores qui naissent puis meurent aussitôt, volutes de chaleur dans l’air. Ce livre, en cela si proche de L’autre découverte de l’Amérique de Kathleen Alcott, est ainsi semblable à une sorte de négatif qui permettrait à chaque scène d’ancrer les personnages dans un décor différent.
La narration se déchire ou plutôt s’étire, de Muriel à Julius puis de Julius à Muriel. La première est une jeune épouse déjà lasse, excitée à l’idée de mentir à son mari tout en craignant cette perspective, un peu attirée par son beau-frère, Julius, ou plutôt par la promesse de sa présence – promesse jamais vraiment concrétisée. Celui-ci est un joueur invétéré qui va de table en table, amassant les jetons sans toujours se plier aux règles, vétéran de la Guerre de Corée sans qu’elle n’ait laissé grande trace en lui. Tous deux ont un cœur indécis, des désirs contradictoires qui les mènent à des sortes de quêtes effrénées et là encore contraires, tout juste similaires dans l’objectif poursuivi – un fantasme amoureux aux contours flous, un « Nous nous enfuirons sur des chevaux ardents » incertain, cheveux et crinière au vent, brûlés par le soleil californien d’un Ouest devenu maelström étourdissant à la croisée de toutes les transgressions.
Malgré l’acuité des scènes décrites, des mouvements et des décors changeants, Shannon Pufahl semble avoir davantage de mal à saisir l’essence des sentiments humains, si flottants dans ce roman qu’ils en deviennent insaisissables. Les émotions de ses protagonistes sont fluctuantes, leurs envies et leurs craintes d’autant plus évanescentes qu’elles sont reliées à des concepts qui n’acquièrent aucune substance, aucune réalité matérielle – ou si peu. Lire Et nous nous enfuirons sur des chevaux ardents, c’est donc accepter de ne pas tout comprendre, de voir s’ébattre des hommes et des femmes habités par les tumultes de leur époque mais comme désaxés par rapport à la Terre et à leur âme, perdus entre leur foi et leurs pulsions.
Merci à la collection Terres d’Amérique qui en contribuant à enrichir aVoir aLire a également contribué à enrichir Pamolico.
Shannon Pufahl – Et nous nous enfuirons sur des chevaux ardents
[On Swift Horses – traduit par Emmanuelle Vial]
Albin Michel (Terres d’Amérique)
2 mai 2022
432 pages
22,90 euros
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Je l’ai lu et c’est un roman, qui n’est pas un coup de cœur. Je n’ai pas réussi à m’attacher à aucun des personnages principaux. C’est dommage. Sans aucun doute, le roman le plus faible reçu depuis que je suis, tout comme toi, en partenariat avec Albin Michel et la collection Terres d’Amérique.
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Je l’ai préféré, et de loin, à Lady Chevy qui ne m’avait pas convaincue. C’est un roman d’atmosphère plus que de héros alors j’ai laissé les décors et les ambiances m’emmener ailleurs 🙂 mais je vois tout à fait ce que tu veux dire et certaines choses m’ont gênée moi aussi.
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Merci pour la citation. Je suis d’accord avec cette idée que lire ce roman, c’est accepter de ne pas tout comprendre. Je l’ai trouvé envoûtant, en raison de l’écriture, mais il y a une part de mystère que je n’ai pas percée. Pourtant, j’ai tellement été subjuguée par les mots, que j’ai accepté ce fait. Tu exprimes très bien cette idée dans ta chronique, 🙏.😘
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Merci beaucoup ! Je me souviens m’être dit la même chose de la tienne 😘 l’écriture m’a touchée moi aussi mais pas à chaque page et l’envoûtement n’a donc pas été de chaque instant. Les personnages sont restés flous, mais j’évoluais avec eux dans ces décors impressionnant d’acuité et de poésie mêlées 😉
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Coucou,
Je n’ai pas toujours compris la quête des personnages, mais j’étais subjuguée. Je pense que sans l’écriture, mon ressenti aurait été différent au sujet de ce livre. J’ai vraiment été surprise de l’aimer autant, alors que l’intrigue est lente. J’étais envoûtée.
😘
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Proposé récemment par le Picabo River Book il ne m’a pas tenté justement par ce côté évanescent et subjectif….. 🙂
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Tu résumes bien la chose… disons que ces aspects de la plume vont très bien aux ambiances et aux décors, un peu moins aux héros 🙂
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Intéressant, je ne me précipiterai pas, mais le garde à l’esprit pour un emprunt en médiathèque…
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C’est une idée judicieuse 😉
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Je vais le lire bientôt.
Merci Cécile pour ta critique convaincante.
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Je t’en prie ! J’espère qu’il te plaira et que tu seras plus sensible que moi aux émotions des héros et à la manière dont elles sont évoquées.
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En tout cas, ta critique m’a touché, tes mots pour en parler. Merci Cécile, bises
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Merci à toi ! Bon week-end, bises
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