Nos tendres cruautés, Anne Tyler

Anne Tyler n’aime rien tant que décrypter l’étrange mécanique à l’œuvre au sein des familles, reproduire les liens invisibles qui unissent les êtres, liens qui s’affinent ou se fortifient alors que le temps passe, que les affinités se créent ou non, que le foyer se délite lentement tandis que les enfants s’envolent vers leur propre avenir.

Après deux romans un peu à part dans sa bibliographie, Vinegar Girl et Un garçon sur le pas de la porte, moins portés sur la famille nucléaire et, de fait, moins réussis, l’autrice revient à ses premières amours. Le chapitre d’ouverture et celui de fermeture sont ancrés dans un hier très proche pour l’un et dans un présent bien réel pour l’autre, confirmant ainsi qu’Anne Tyler excelle davantage à parler du passé, de ces décennies qui l’ont vu grandir, elle, née en 1941. Les trois cents pages de Nos tendres cruautés avancent doucement, d’ellipses en ellipses, d’épisodes marquants en scènes mémorables, de 1959 à 2020, oscillant parfois pour effleurer des moments ultérieurs qui flottent dans la mémoire des protagonistes. Les patriarches Garrett sont au cœur de ce roman et leur mariage, les jeunes années de leurs trois enfants, permettent à l’autrice d’expliquer la distance qui sépare aujourd’hui les membres de cette famille, situation évoquée dès les premières pages.  

Se déroule le fil d’une vie – vacances au bord d’un lac, quotidien rythmé par les caprices d’une mère artiste et dissensions fraternelles puis, soudain, solitude maritale alors que les deux filles et le fils sont partis. Anne Tyler va et vient d’un personnage à l’autre, saisissant avec toujours autant de pertinence et de finesse les caractères perçus par les uns et les autres, l’égoïsme qui ne se dit pas, se devine, les petites mesquineries et les rancœurs latentes. Elle se glisse dans les pensées des ménagères lassées de ce statut, si semblables à Delia, son autre femme, mais aussi dans les recoins intimes des souvenirs de Robin, le père bientôt grand-père, de ceux des trois enfants, parents en devenir. Se retrouvent ce foyer-cocon sans âge, cette douceur amère d’Une bobine de fil bleu, cette envie de réunir les protagonistes sous un même toit, des longs repas à un bref confinement, de frotter leurs esprits les uns aux autres, leurs âmes, leurs tendres cruautés – qui sont aussi les nôtres.

Un grand merci aux éditions Phébus qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.

Anne Tyler – Nos tendres cruautés
[French Braid – traduit par Cyrielle Ayakatsikas]
Phébus
5 mai 2022
352 pages
21 euros

Ils/elles en parlent aussi : Mes p’tits lus

7 réflexions sur “Nos tendres cruautés, Anne Tyler

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