Les femmes du North End, Katherena Vermette

Enfouies sous la neige immaculée qui recouvre le sang et la souffrance tout en les cristallisant, éphémère rendu éternel sous la poudreuse glacée, se battent les femmes du North End, au bord de la Brèche, ce terrain vague. Elles se battent avec leur personnalité et leur caractère, leur force de pensée et leur résilience. Elles se battent en étant unies face à l’adversité, au racisme, à la mort, à la brutalité, à la férocité des gangs, à l’indifférence des hommes qui partent, délaissent leur femme et leurs filles. Elles s’efforcent de faire refleurir des sourires sur des visages où l’insouciance a fané, fauchée par l’irruption soudaine d’une violence plus vive que les autres. Elles attendent qu’enfin le printemps pointe sous la glace et, avec lui, l’espoir.

Dix voix se font écho dans ce roman, neuf timbres féminins et un ténor. Une seule s’exprime à la première personne, sans être pourtant plus centrale que ses comparses, peut-être seulement plus armée face aux affres du destin. Les portraits créés par Katherena Vermette sont fins, précis malgré la multitude qui déstabilise parfois. Toutes ses héroïnes portent une histoire lourde, un monde sur le dos, leur famille comme carapace et comme responsabilité ; toutes sont liées, unies par le sang et par la vie, par leur genre et le déterminisme contre lequel elles luttent, chacune à sa façon, encore davantage après le drame qui frappe leur tribu faite d’amour et de peine.

Quatre générations se croisent dans Les femmes du North End, la sagesse infinie des grands-parents vieillissants répondant à la timide fougue de la jeunesse réprimée par les larmes, la douleur et le chagrin. Sororité, maternité, filiation, autant de piliers dans l’existence de ces protagonistes aux yeux en amande et aux longs cheveux de jais qui chacune réagit différemment aux tragédies. Le passé plane sur le présent, hier aussi âpre qu’aujourd’hui, hantant les filles qui abritent en elles tout un héritage.  

Katherena Vermette, canadienne, rend un hommage vibrant aux Amérindiennes d’aujourd’hui, écartelées entre ville et réserve, entre les addictions urbaines et l’air pur de la forêt, malheur moderne et traditions rassurantes. Son chœur féminin n’est pas sans rappeler les bruissements entêtants d’Ici n’est plus ici de Tommy Orange, les drames qu’elle relate, Ohio de Stephen Markley. Malgré tout, là où Tommy Orange créait une tribu avant de faire naître des personnalités fortes et uniques, l’unité entre les héroïnes est plus prégnante dans Les femmes du North End, tout comme leur singularité, la puissance individuelle de leur voix abstraite des autres.

Un grand merci aux éditions Albin Michel qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.

Katherena Vermette – Les femmes du North End
[The Break – traduit par Hélène Fournier]
Albin Michel (Terres d’Amérique)
1er avril 2022
448 pages
22,90 euros

Ils/elles en parle aussi : Encore un livre. Carolivre. Ballade au fil de l’eau. La livrophage. Enna lit. Fflo la dilettante. Vamlmyvoyou lit. Tu vas t’abimer les yeux. Le blog de Krol. Lune Depassage. Tu l’as lu ?. La page qui marque. La culture dans tous ses états. Livr’escapade. Les lectures de Lanie. Mes échappées livresques. Lire & vous. Les yeux dans les livres. Les lectures d’Azilis

28 réflexions sur “Les femmes du North End, Katherena Vermette

    1. C’est ce côté Amérique profonde qui m’y a fait penser surtout (parce que le Canada, c’est l’Amérique, n’en déplaisent aux Étas-Uniens qui se sont approprié le mot), et puis le fait que ce soit un roman choral.
      Et la bonne nouvelle c’est que nous allons retrouver ce choeur féminin dans une suite 😉

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  1. Ping : Noël 2022 – livres en pagaille – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

    1. J’aime beaucoup cette collection pour laquelle je suis par ailleurs lectrice (mais ça ne m’empêche pas d’être objective 😉) et je te conseille vivement de découvrir son catalogue, en effet ! Il y a eu une rencontre live VLEEL (je ne sais pas si tu connais ?) avec Francis Geffard, le directeur de la collection, et la traductrice du dernier roman de Louise Erdrich, ça a peut être joué sur l’engouement.
      Merci à toi !

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      1. En effet, être lectrice n’empêche pas l’objectivité… Peut-être même au contraire,car cela incite à porter un regard encore plus critique sur ce qu’on lit !! Dernièrement c’est « August » de Callan Wink que j’ai vu passer dans cette collection…

        Je ne connaissais pas les rencontres VLEEL, j’ai rapidement regardé le site ça a l’air super, merci !!! 😊 Il va falloir que j’explore tout ça… C’est gratuit si j’ai bien compris ?

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      2. C’est vrai, même si les liens avec les éditeurs sont de fait renforcés, d’où ma précision 😉
        Ah oui, August m’a bien plu aussi ! Un roman d’apprentissage tout en finesse 🙂

        Je t’en prie !! Oui, totalement gratuit, tu n’es même pas obligée de te mettre en webcam ou de poser des questions si tu n’as pas envie. C’est toujours enrichissant et puis ça permet de découvrir des maisons d’édition, des auteurs et des pépites.

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      3. Je comprends, ça doit aussi être très enrichissant car sinon on n’a pas forcément l’occasion de complètement se plonger dans le catalogue (ou une partie du catalogue) d’une maison d’édition…

        Super, j’espère pouvoir participer à l’une de ces visios à l’avenir alors 🙂

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      4. En fait, par lectrice j’entends lire des manuscrits anglophones et rédiger des compte-rendus préalables à une éventuelle traduction en France (donc je plonge dans le catalogue hypothétique ou potentiel on va dire ;))

        J’espère ! C’est très enrichissant 🙂

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      5. Ah d’accord, je pensais que tu donnais ton avis à la maison d’édition dans le cadre du processus éditorial (en lisant des épreuves, un peu comme les Lectrices Charleston si tu connais ?) 🙂

        S’agit-il de manuscrits que l’on te demande de lire, ou que tu débusques toi-même, si je peux me permettre de demander ?

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