Neverhome, Laird Hunt

Neverhome ou odyssée vers un foyer perdu de vue, rêvé, fantasmé, souvenir repassé en boucle si souvent qu’il en est flétri, pâli, semblable à une vieille photographie ou même à l’un de ces portraits miniatures regardés si souvent. Odyssée d’un Ulysse féminin, ou plutôt androgyne, Constance devenant Ash redevenant Constance. Laird Hunt joue avec l’identité, fait de son personnage un corps habité d’émotions, de sensibilités contraires mais complémentaires, d’un Dr. Jekyll et d’un Mr. Hyde se disputant la silhouette d’une femme. Constance est devenue Ash en partant combattre, s’est enrôlée dans les rangs de l’Union pendant la Guerre de Sécession. Les combats noircissent sa part d’ombre, la font ressortir, prendre momentanément le dessus sur sa tendresse, là pourtant, reposant dans sa mémoire qui la hante – apaisent la violence du front, et même de l’arrière, ses souvenirs de sa mère et de Bartholomew, son époux.

Neverhome n’en est pas moins habité d’une poésie bien particulière, sombre, terreuse, acérée. Les phrases ont ce rythme entêtant, comme scandées, bâties sur des répétitions et des parallélismes, comme patinées par la terre-poussière, par le temps passant. Les étoiles et la lune transforment les bois, les chemins, les visages ; les fleurs, roses et zinnias, peuplent les souvenirs de l’héroïne, de même que les plumes d’oiseaux et les joliesses du printemps. Constance écrit à son mari, leurs lettres et leurs moments d’intimité passée flottant sur ces pages, source de soulagement comme de regrets, d’un manque lancinant pourtant moins fort que le besoin de se trouver, de se prouver. La jeune femme et son sentiment d’illégitimité, sa culpabilité doivent trouver un exutoire – la guerre et cet autre à qui Constance se livre, corps et âme, identité et pensées. Femme forte et homme qui ne guerroie pas – Laird Hunt renverse les clichés, les normes, et signe un livre différent, entre histoire, guerre, amour, délitement de la mémoire et quête identitaire.

Ce roman est le lauréat de la première édition du Grand Prix de Littérature Américaine, en 2015.

Laird Hunt – Neverhome
[Neverhome – traduit par Anne-Laure Tissut]
Actes Sud (Babel)
Septembre 2017
272 pages
7,80 euros

Ils/elles en parlent aussi : Tu vas t’abîmer les yeux. Nyctalopes. Charybde 27. Lettres exprès. Mumu dans le bocage

17 réflexions sur “Neverhome, Laird Hunt

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s