Moins que zéro, Bret Easton Ellis

Dans les années 1980, déjà, des jeunes pas encore adultes mais plus adolescents flânaient, d’une fête à l’autre, en Californie, au volant de leur Porsche ou de leur BMW, de l’alcool dans le sang, le nez encore poudré, l’haleine chargée. Après tout, rien de très étonnant à cela : Jack Kerouac et la Beat Generation ne sont pas loin et imprègnent cette jeunesse désœuvrée et désabusée, argentée et enfouie sous ses billets cette fois, droguée par ennui, papillonnant d’un lit à l’autre sans la légèreté supposée inhérente à la démarche – et imprègne aussi la plume des auteurs de la côte Est, dont Bret Easton Ellis.

Clay, le narrateur de ce court roman, étudiant dans le New Hampshire, revient à Los Angeles pour les vacances de Noël, écrasé par la chaleur hivernale et l’indolence, lassé de ses amis de lycée avant même de les avoir revus. Il va d’une « party » à une autre, suit l’un, recherche le second, trouve finalement le troisième qui l’entraîne à son tour dans son sillage, toujours à l’affut d’une occasion pour acheter de la coke, pour prendre du bon temps – mais à quoi bon, au fond, tout est si éphémère. Le champagne coule à flot, les flutes se vident autour d’une piscine trop chaude, d’un jacuzzi délicieux, les toilettes servent à sniffer ou à se frotter contre quelqu’un d’autre de plus ou moins consentant, garçon ou fille, quelle importance. Et Clay dérive lentement, peu à peu témoin d’un monde auquel il se sent désormais étranger – tout comme le lecteur qui navigue à vue, bientôt lassé de ces successions de noms, de carcasses sans matière, sans chair, sans fond. Cette critique acerbe des classes supérieures californiennes, si elle ne manque pas sa cible, agace et la vanité de toutes les élucubrations des protagonistes, de tous leurs mouvements désordonnés et sans but, donne le vertige.

Les phrases de Bret Easton Ellis, quand elles ne sont pas courtes, voire elliptiques, sont des accumulations de propositions liées par des « et » qui témoignent de ce tourbillon d’actions vaines constituant la vie des héros, irrésistiblement attirés par le sordide, la transgression puisqu’ils pensent n’avoir rien à perdre. Les émotions semblent inexistantes dans Moins que zéro, vernis superficiel de cette jeunesse dorée se brûlant les ailes. Les parents sont absents, silhouettes lointaines enflammées par la lumière des projecteurs, par les flashs des photographes, figées sur le papier glacé des magazines people que leurs enfants feuillettent, faute de mieux à faire, à peine capables de leur offrir quelques cadeaux en cette période de fête – mais que vaut la semaine entre le 25 décembre et le 1er janvier quand aucun autre horizon que ces verres alignés ne se profile ? Tout juste les parents apparaissent-ils dans les flashbacks qui assaillent Clay, souvenirs presque heureux qui ne sont plus, autant de rappels que ce temps n’existe plus, que l’ennui, les désillusions et la mort l’ont entaché à jamais et ont paradoxalement rempli sa vie d’un vide infini – celui-là même qui est au cœur de la chanson Less Than Zero d’Elvis Costello dont le regard surveille Clay d’un bout à l’autre du roman, Big Brother d’une autre époque qui règne sur sa chambre d’enfant.

Bret Easton Ellis – Moins que zéro
[Less Than Zero – traduit par Brice Matthieussent]
10/18
2001 (édition originale : 1988)
250 pages

Elles en ont parlé aussi récemment : Au fil des plumes. One more cup of coffee

12 réflexions sur “Moins que zéro, Bret Easton Ellis

  1. Oh la la cet auteur m’a posé beaucoup de problèmes avec la lecture de Luna Park qui m’avait été offert….. Trop trash, trop brut… Mais il y a quelques semaines je l’ai ressorti (en plus une édition avec une couverture toute découpée très originale) en me disant que j’avais peut-être pas à l’époque l’ouverture d’esprit ou la maturité pour ce genre d’écrivain….. Je verrai à le retenter et soit à le bannir définitivement ou à continuer à le lire (mais je pense à te lire que ce n’est pas un genre de littérature qui me convient) 🙂

    Aimé par 1 personne

    1. L’auteur n’avait que 21 ans à l’écriture de ce roman-ci mais je ne pense pas qu’il ait radicalement changé ses thèmes de prédilection… trash et brut, oui, et nous pouvons (presque paradoxalement) ajouter ici vide par choix puisque le sujet reste dans ce cas le vide existentiel qui frappe ses personnages.
      Je ne suis pas sûre que ce soit une littérature qui te séduise, effectivement, mais j’attendrai ton retour au sujet de Luna Park que Princecranoir m’a conseillé 🙂

      Aimé par 1 personne

    1. Merci beaucoup ! Je découvrais la plume d’Easton Ellis avec ce titre et j’avoue que j’étais un peu déçue mais je retenterai avec d’autres, sans doute American Psycho.
      Les critiques sont bonnes dans l’ensemble, cela tient sûrement à sa manière de décrire ces vies vides de sens. C’est donc surtout un tableau peu flatteur d’un microcosme qui, finalement, n’a pas évolué… pour être dépaysé ce n’est peut-être pas le bon titre. À voir !

      Aimé par 1 personne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s