Idaho est un roman insaisissable à bien des égards, volatile, aussi évanescent que les pensées les plus fugaces, que les impressions passagères, que les sentiments incompréhensibles. Avec ce premier livre, Emily Ruskovich parvient à saisir l’immatérialité des songes et des souvenirs, le tissu léger et impalpable dont ils sont faits. Tout découle de ce jour d’été de 1995, celui où tout bascula. Aujourd’hui, Ann est mariée à Wade et ce dernier perd la mémoire. Ce qu’il a traversé, ce qui a fait de sa vie ce qu’elle est désormais s’évanouit peu à peu, se fond dans la matière terne des jours du présent. Seuls subsistent quelques réminiscences légères, simples impressions le poussant à réagir violemment dans certaines situations qui réveillent une douleur, comme une cicatrice frottée qui rappellerait l’intensité de la souffrance ressentie lorsque la peau était à vif. Ann devient le dernier réceptacle de la mémoire, de cette journée funeste qui fit tout basculer. Discrètement, cette professeure de musique essaie de retracer les événements, de tisser ses propres souvenirs d’une scène à laquelle elle n’a pas assistée, et ceux d’autres moments propres à la vie d’avant de Wade, alors marié à Jenny et père de June et de May, deux adorables fillettes.
La primo-romancière, après un début paisible où plane le spectre de la tragédie, mêle les époques et les focalisations pour mieux donner corps à la fragilité de l’esprit humain. Elle s’attarde sur les pensées de chacun, sans juger, en tâchant de montrer à quel point le temps peut soudain se contracter pour accoucher d’un caillot de sang indélébile imprégnant la toile du monde. Elle rend hommage à l’Idaho, écrin de verdure adossé aux montagnes et couvert d’un ciel lourd et sans fin, mais aussi à la famille et à l’équilibre instable sur lequel elle repose. La morsure des brins d’herbe fouettant les jambes, le parfum des fleurs, l’odeur d’une peau, l’humidité étouffante de la neige – toutes ces sensations sont dites avec une infinie finesse qui embrasse aussi l’âme humaine et ses mystères. Dans une langue très poétique où les frontières entre choses et êtres vivants s’amincissent, brouillées par les métaphores, Emily Ruskovich crée un roman abouti dans lequel subtilité rime avec non-dits, délicatesse avec implicite. Ouvrir Idaho, c’est accepter de ne pas réussir à comprendre ce que même les personnages ne comprennent pas, c’est plonger au plus profond d’êtres viscéralement humains. C’est s’abîmer dans un roman exigeant, dont les remous scintillants remuent – c’est laisser la voix à son cœur qui ne peut que fondre.
Emily Ruskovich – Idaho
[Idaho – traduit par Simon Baril]
Gallmeister
6 juin 2019 (totem)
384 pages
10,40 euros
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Cela n’a pas fonctionné avec moi et ma lecture s’est soldée par un abandon (je n’ai pas du tout accroché au style). Une autrice qui n’est pas pour moi.
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Ça m’étonne, nos goûts étant souvent similaires, mais je comprends tout à fait que l’on puisse rester en dehors.
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Je suis rarement déçue par Gallmeister, une maison d’édition que j’affectionne énormément, mais là ça n’a pas fonctionné…
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Les derniers nés américains (Kingdomtide, Swanson,…) m’ont moins convaincues que les titres plus anciens du catalogue… à voir pour janvier !
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J’ai lu ce roman il y a quelques mois déjà et pour moi c’est une perle avec cette écriture si poétique et ce fond très dur. Il faut s’accrocher, le sujet est difficile mais quel talent ! Il y a cette fin qui plaira selon les sensibilités des uns et des autres.. Ta chronique est belle. Belle soirée Cécile 😉😊
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Je viens de découvrir ta critique et, puisque les commentaires sont fermés, je profite de cet échange pour te dire à quel point je trouve tes mots justes.
En effet, la fin a fait beaucoup parler… elle m’a cueillie, comme le reste du roman, les personnages, la plume d’Emily Ruskovich.
Merci beaucoup, et très bonne journée à toi Fred 😊
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C’est très gentil à toi Cécile, merci beaucoup ! Un roman magnifiquement écrit et une autrice que je vais suivre c’est une certitude. Je te souhaite une belle journée Cécile 😊
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Tout comme moi !
Très belle journée à toi aussi Fred 😊
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J’ai lu des critiques très contrastées de ce roman, la tienne me donne envie d’y jeter un œil pour voir si j’accroche ! (Très belle chronique)
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Je ne peux que te le conseiller ! Il faut juste réussir à accepter le flottement qui demeure… Et merci beaucoup 😊
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Ce roman m’a toujours beaucoup intriguée, comme bien nombre des oeuvres publiée par Gallmeister.Cependant, j’ignorais qu’il pouvait diviser autant ! Ça ne le rend que plus intéressant, mais je comprends que certains n’arrivent pas à rentrer dedans avec ce flou.
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C’est un roman qui m’a énormément touchée et qui intrigue, même une fois entre nos mains – c’est le terme. Effectivement, il reste évanescent, une partie nous échappe et les dernières pages ont frustré beaucoup de lecteurs… mais pas moi 😉
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On sent que tu as été transportée… Je n’ai pas aimé ce roman, par contre, trop flou et incertain pour mon goût…
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Je comprends et de ce que j’ai lu, on adore ou on reste franchement en dehors 😉
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J’ai beaucoup aimé ce livre. Merci pour ta si bonne critique.
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Merci à toi 🙂
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Très envie de découvrir, ton commentaire m’a donné l’eau à la bouche…
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Et j’en suis franchement ravie parce que c’est un très beau coup de cœur !
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Me voici plongée dans Idaho et j’aime vraiment beaucoup. Quelle belle écriture sensuelle et poétique ! Merci pour ta critique qui m’a incité à cette découverte.
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Oh merci de revenir m’en parler ! Je suis très heureuse qu’il te touche toi aussi et j’ai hâte de te lire quand tu l’auras fini 🙂
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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Lu mais le foisonnement de sa construction m’a un peu gênée 🙂
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Je comprends mais c’est l’un des éléments qui m’ont plu 😉
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il me tente je le note dans un coin de ma mémoire car ma PAL est en grève (du zèle peut-être?)
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La mienne devrait en faire de même… je te félicite en tout cas 😁
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J’ai du mal avec celui-ci 😔 je l’ai commencé plusieurs fois et je rame à chaque fois, mais je n’ai pas dit l’on dernier mot ^^
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Il est assez insaisissable, je te l’accorde… ce n’est pas toujours facile d’accepter de ne pas tout comprendre et de se laisser porter 🙂
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