Avant que Fazil, le narrateur, ne rencontre Madame Hayat, ou même ne commence à vraiment échanger avec elle, ce roman est d’une monotonie triste, « réalité banale » comme la littérature se doit de l’être pour prétendre représenter fidèlement la vie – d’après Cioran mais aussi Adorno, cités par Ahmet Altan. La routine que le protagoniste se créée est morne, autant que ne l’est son état d’esprit alors qu’il est en deuil, ayant perdu son père et toute la fortune familiale. Puis, peu à peu, les sentiments se déploient, viennent suppléer aux courts énoncés factuels des premières pages qui deviennent désormais une simple ponctuation rythmant le tourbillon émotionnel, le trou noir, l’étoile sombre qui règnent sur Madame Hayat. Le héros d’Ahmet Altan est déchiré entre deux femmes – celle qui pose un regard tranquille sur l’existence, pleine d’optimisme, de joie, d’un savoir étrange, patchwork coloré d’inculture cultivée ; celle emplie d’une mélancolie attirante, d’une intelligence triste, désillusionnée, prête à s’échapper de ce pays qui se referme autour d’eux. Fazil grandit tant au contact de Madame Hayat, la vie même comme son nom (« vie » en turc) le confirme, qu’en échangeant avec Sila, aussi riche de connaissances littéraires que lui. En filigrane, c’est la Turquie qui se devine, le lent basculement dans la dictature, dans la peur – mais n’est-ce pas la condition-même de l’être humain que de frissonner d’une frayeur plus ou moins grande, parfois éclairée d’espoir, de joie, mais toujours présente ?
Madame Hayat, lauréat du Prix Femina Étranger 2021 est un roman qui dissimule une grande érudition, apparaissant ici et là, derrière des citations, des réflexions ou des images d’une puissance incroyable, mais qui jamais n’en fait étalage au contraire des Vies de papier de Rabih Alameddine. Hommage à la littérature, hymne à la vie, à ses plaisirs qui se la disputent aux malheurs, ce livre d’Ahmet Altan fut écrit en prison, ce qui rend encore plus fort le souffle de liberté qui le traverse, liberté certes réfrénée par la dictature et par les sentiments humains, par ces carcans qui font de nous ce que nous sommes.
Ahmet Altan – Madame Hayat
[traduit par Julien Lapeyre de Cabanes]
Actes Sud
Septembre 2021 (rentrée littéraire 2021)
272 pages
22 euros
Ils/elles en parlent aussi : Les vapeurs de l’est. J’ai 2 mots à vous dire. Lecture monde. Manon lit aussi. Ally lit des livres. L’écho des livres. Le petit caillou dans la chaussure. Patricia Sanaoui-Olivier. Les pages qui suivent. Sur la route de Jostein. Miriam. Le petit poucet des mots. Lire & vous. Bibliofeel. Culturellement vôtre !. Le blog de Gigi
Je l’ai commenté dans « léchodeslivres » . C’est un roman -feuilleté qui met en lumière l’apprentissage de la vie réelle et non celle rêvée de la littérature . Pour grandir le héros doit se confronter à :la mort, la nécessité matérielle, l’amour aux multiples visages ,au danger: tous ses thèmes abordés en cours de littérature, sont mis en pratique et testés hors des murs de l’université et à un autre niveau par l’auteur lui-même ,entre ses barreaux .Qui est me Hayat?il faut lire ce livre dense, riche, plein de questionnement.
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J’ai prévu de l’acheter
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Une lecture incontournable, et je suis sûre qu’il te plaira.
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Ton billet donne vraiment envie, je le lirai !
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Rien que pour l’engagement de l’auteur, il faut le lire 😉
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Je suis d’accord 🙂 Je l’achèterai !
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Ton billet me donne grande envie de découvrir cet auteur et ce roman !
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J’en suis ravie !
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Je viens de l’acheter. J’aurais pu l’emprunter à la médiathèque mais j’ai eu envie de contribuer aux droits d’auteur d »Ahmet Altan. Une toute petite façon de contrer le pouvoir turc. La Turquie est un magnifique pays que j’ai adoré. Quand j’y ai séjourné en 2011, Erdogan commençait son travail de sape de la démocratie.
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Je comprends et j’ai fait la même chose que toi. J’espère qu’il te plaira !
J’aimerais beaucoup découvrir la Turquie, débarrassée de ce despote dans l’idéal…
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La situation en Turquie est dramatique avec « le despote » ou « Sultan » Erdogan. Les droits les plus élémentaires sont réprimés par le régime en place. Ce livre doit être très intéressant pour mieux comprendre les fractures qui divisent sa population. Merci Cécile pour ce partage 😊📚
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Dramatique, c’est le terme. Ahmet Altan parvient à esquisser les tragédies de ce pays, à en faire le centre de son roman tout en le mettant au second plan, faisant triompher la vie et de l’amour… c’est un beau livre, indéniablement !
Merci à toi 😉
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A découvrir, assurément !
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En effet !
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je le note! la Turquie m’intéresse en dépit de son évolution récente et le régime Erdogan…
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L’auteur parvient à en dire beaucoup en filigrane, avec beaucoup de finesse et d’intelligence…
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J’ai adoré ce livre et la façon dont l’auteur arrive à dire beaucoup sur la situation de son pays. Et la fin a été à la hauteur de mes espérances.
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C’est vrai qu’il en dit beaucoup mais entre les lignes, en en faisant presque le sujet de son roman mais sans que cela ne saute aux yeux. C’est habile, effrayant et touchant.
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