La nuit. Le sommeil. La mort. Les étoiles., nommé ainsi d’après un vers de Walt Whitman, est construit en quatre parties (et une), fidèle à son titre, de la veillée au drame jusqu’à la reconstruction. Joyce Carol Oates dissèque les relations familiales consécutives à un drame, l’implosion qui s’en suit, se concrétisant enfin après des années de tensions sous-jacentes, là mais invisibles – ou presque. L’auteure américaine prend son temps pour dresser un portrait familial d’une grande acuité, fourmillant de détails, tout en esquissant à grands traits la société américaine en toile de fond, malade de violences et de dissensions. Tout découle d’une bavure policière, du racisme systémique qui gangrène les institutions étatiques et, dans une moindre mesure, fédérales dans ce grand pays. Ensuite, même si Jessalyn, la mère, reste le centre névralgique du livre, les focalisations s’alterneront, les pensées des uns et des autres venant rythmer une narration omnisciente, italiques et parenthèses jalonnant les pages, réflexions inabouties, dialogues inventés ou ressassés entre frères et sœurs, enfants et mère. L’incompréhension entre eux est grande et n’a de cesse de s’accroître, peu à peu, lentement, jusqu’à l’éclaircie. Une fois la mort entrée dans l’existence des protagonistes, elle s’invite dans leurs pensées, dans leur quotidien, l’auteure brouillant les frontières entre vie et trépas, rappelant leur porosité. Le disparu n’a de cesse de commenter les actes de ceux qui restent, jugements imaginaires, réconfortants ou blessants, comme lui-même savait l’être de son vivant.
Malgré tout, les cinq enfants demeurent des caricatures – certes abouties – des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Il y a l’aîné ambitieux et colérique, l’aînée mère de famille un peu niaise, la troisième, tyrannique et masculine, le fils hippie et timoré et enfin la petite dernière, encore vue comme une enfant, frémissant sur ses jambes d’adulte comme un faon qui tente de se mettre debout. Leur caractère ne réserve aucune surprise, rien ne semble les distinguer de simples stéréotypes, comme si l’humanité se résumait à cela – des modèles types. Joyce Carol Oates ne s’intéresse que peu à l’enfance des cinq descendants, où reposent pourtant les racines de leur mal-être, et préfère décortiquer leur vie d’adulte incompris et imparfait, d’une imperfection si standard. Quant à la lente descente aux enfers de celui qui reste, elle est d’une longueur infinie, s’étire sur les pages, des dizaines et des dizaines de pages se dessinant derrière une brume qui floute les contours d’une réalité devenue hors d’atteinte. L’auteure ne sait pas faire court, en témoignent ses précédents ouvrages, tout aussi long que La nuit. Le sommeil. La mort. Les étoiles.,et cela dessert sans doute la fresque sociétale. Quant au portrait de famille, il est peint avec beaucoup de finesse et d’attention aux détails – dommage donc que les personnages ne soient pas vraiment davantage que des silhouettes totémiques.
Merci aux éditions Philippe Rey qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont contribué à enrichir Pamolico.
Joyce Carol Oates – La nuit. Le sommeil. La mort. Les étoiles.
[Night. Sleep. Death. The Stars. – traduit par Claude Seban]
Editions Philippe Rey
14 octobre 2021
928 pages
25 euros
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Le titre est magnifique mais 950 pages en ce moment, vu ma PAL📚, je vais attendre une sortie en poche😉. Je t’ai senti mitigé pour cette première expérience. Je te souhaite un excellent weekend Cécile 😊🌞
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Mitigée en effet… attends le poche, oui, même si je ne pense vraiment pas que ce soit son meilleur… Il le reste à découvrir ses autres titres pour pouvoir en juger 😉 Très bon week-end à toi aussi Fred 😊
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Comme je te l’ai dit sur IG elle a une production très importante et à la lire je me rends compte que la famille américaine est son domaine de prédilection. Ayant déjà lu pas mal d’elle et avec des ressentis en dents de scie je vais désormais me concentrer sur des thèmes déjà non traités…. J’ai Blonde, Bellefleur et Mudwoman dans ma PAL 🙂
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Les romans familiaux américains, c’est un domaine que j’aime et que je connais particulièrement bien – alors ne jamais avoir lu JCA, honte à moi !
Oui tu as raison, autant varier les plaisirs 🙂
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Je vais attendre un peu pour « La nuit. Le sommeil. La mort. Les étoiles ». Très beau titre de Joyce Carol Oates dont je suis une fidèle lectrice. Je reconnais qu’elle nous perd parfois dans ses écrits. Merci Cécile.
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Oui le titre est superbe, tout autant que le poème de Walt Whitman dont il est extrait.
Je ne pense pas avoir découvert l’auteure avec le titre le plus représentatif de son œuvre… tant pis, je retenterai ma chance avec Les chutes ou Le livre des martyrs américains 🙂
Merci à toi !
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Mmmmm. Je l’avais repéré car JCO une autrice que j’aime beaucoup. Tes nombreux bémols m’interrogent et me freinent un peu…
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Emprunte-le peut-être à la bibliothèque ? Cela te permettra de le refermer sans regret si tu n’arrives pas à passer outre les longueurs… La réflexion sur le deuil et sur la réaction de chacun face à la mort est très fine, tout autant que le portrait de famille, mais le côté stéréotypé des protagonistes nuance beaucoup ces qualités, à mon sens.
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il y a un moment que je n’ai pas lu un roman de l’auteure…
Près de 1000 pages cela freine un peu mes ardeurs et je ne sens pas un réel emballement dans ta critique…
J’ai déjà « Mudwoman » et « Les chutes » en attente alors vu l’état actuel de ma PAL je vais résister à la tentation 🙂
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C’était mon premier et je ne suis pas sûre d’avoir choisi son meilleur titre… je suis déçue, effectivement, surtout à cause du caractère très typé des personnages et à cause des longueurs. Pour me réconcilier avec elle, on m’a conseillé Les chutes sur Instagram et j’ai Le livre des martyrs américains dans ma PAL 🙂
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je me suis offert »Le livre des martyrs américains » car les critiques sont unanimes.
J’ai bien aimé « Nous étions les Mulvaney »
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Il m’attend moi aussi. Ah merci, je note !
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