Dans l’ombre des eucalyptus et des acacias, les héros de ce roman se font un devoir de murmurer le nom des disparus pour qu’ils ne quittent pas la mémoire des vivants, que leur souvenir perdure dans les pensées de ceux qui restent. Leur quête, bien que classique, est plus attachante et touchante que leur histoire, que leur caractère dont le lecteur sait finalement peu de chose. Le présent, rien d’autre. Rohan Wilson ne joue pas avec la temporalité, se contente de passer d’un esprit à l’autre, d’un point de vue féminin à celui d’un homme, tous ces héros étant des hors-la-loi ou des va-nu-pieds, miséreux dans la poussière tasmanienne. D’un côté, William Toosey qui cherche son père et Thomas Toosey qui cherche son fils ; de l’autre, Flynn et son étrange acolyte à la cagoule de drap blanc qui sont aux trousses de Thomas. Une galerie de personnages vient habiller l’ensemble, donner des couleurs au paysage de désolation que recrée l’auteur, sortant tout droit des années 1870. Ses protagonistes évoluent en effet dans un théâtre lugubre, entre arbres majestueux, terre sèche et village sordide où les émeutiers s’ébattent, enflamment les boutiques miteuses, pillent les hôtels qui le sont tout autant. En cette fin du XIXème siècle, l’île australienne est en effet prise de soubresauts populaires, les Réchabites se saisissant de l’opportunité pour élargir leur rang de fidèles. Comme l’archipel Andaman auquel Aimee Liu offrait un écrin dans Le garçon magnifique, la Tasmanie est peuplée d’un mélange de colons britanniques, d’anciens bagnards et de leurs descendants, cet alliage explosif contribuant à mettre le feu aux poudres alors qu’une énième taxe incombe aux pauvres gens.
Rohan Wilson redonne vie à ce contexte, crée des hommes et des femmes qui semblent émerger d’un western délocalisé, exporté sous les eucalyptus. Si sa plume est enlevée et ses phrases, courtes, certains énoncés ne s’étirent pas moins sur la page pour varier le rythme de la langue autant que de la course-poursuite. Le tempo va crescendo, tout comme le suspense, accentué par l’omerta qui paraît peser sur le passé de tous, définis par des actes qui seront tus ou à peine évoqués.
Pour l’atmosphère, le décor grandiose et le plaisir mâtiné d’effroi de craindre tantôt pour l’un puis pour l’autre des protagonistes, Murmurer le nom des disparus est un roman à découvrir.
Merci à la collection Terres d’Amérique qui en contribuant à enrichir aVoir aLire a également contribué à enrichir Pamolico.
Rohan Wilson – Murmurer le nom des disparus
[To Name Those Lost – Etienne Gomez]
Albin Michel (Terres d’Amérique)
3 novembre 2021
384 pages
22,90 euros
Ils/elles en parlent aussi : Tu vas t’abimer les yeux. Dealer de lignes
l’idée me plaît, la Tasmanie également… il va aller enrichir ma PAL 🙂
C’est une belle collection en plus!
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J’ai appris beaucoup de choses et l’ensemble est entraînant, malgré le classique de la quête.
Oui, tout à fait 🙂
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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Merci Cécile, je le note.🙏
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Avec plaisir !
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La collection « Terres d’Amérique » d’Albin Michel est un vivier où chaque livre ou presque est excellent ! Je n’ai encore jamais rien lu sur la Tasmanie. La couverture est très touchante. Merci Cécile pour ta belle chronique 😊🌞
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Entièrement d’accord 😊
C’était une première pour moi aussi et j’ai trouvé ce roman très enrichissant de ce point de vue du contexte.
Merci à toi de me lire !
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Toujours, et ce depuis que j’ai découvert PAMOLICO, un plaisir de lire et suivre tes chroniques Cécile ! 😊
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Merci beaucoup 😊 et comme je te le disais sur ton blog, c’est un plaisir d’échanger !
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