Les Corrections, Jonathan Franzen

Ce roman tendre et grinçant est le portrait de famille le plus connu de Jonathan Franzen, l’un des meilleurs satiristes du vingt-et-unième siècle. Les couches de peinture se superposent, faisant des Corrections un livre multiple, lauréat du National Book Award. En effet, à la fois satire politique et sociale, récit de la vie de jeunes gens désabusés à l’aube des années 2000, et instantané des relations entre enfants et parents quand ces derniers vieillissent, ce roman est profond et complexe, enchâssant plusieurs histoires en une. Écrit après Phénomènes naturels et avant Freedom, il combine les points forts de ces deux autres œuvres, le regard acéré de l’auteur sur notre société malade, sur le fossé générationnel qui se creuse, et plus généralement sur le monde américain dans son ensemble, et son inimitable don pour coucher ses impressions sur la page avec un cynisme savoureux et décapant, n’épargnant rien au lecteur.

Enid et Alfred ont trois enfants, tous désormais trentenaires et vivant sur la côte Est, loin de St. Jude, pittoresque petit village du Midwest où ils ont grandi et qu’ils considèrent aujourd’hui comme le repère des hillbillies américains. Chip multiplie les faux pas, les erreurs de jugement. Ses travaux d’écriture le mènent dans le mur, sa liaison avec une femme mariée ne va nulle part, ses piges ne lui offrent l’accès qu’à un petit journal local. Denise, elle, est une cheffe reconnue et célèbre, reine de la cuisine européenne à Philadelphie, mais sa vie amoureuse est mouvementée et décevante, sa bisexualité la conduisant souvent à faire partie de triangles amoureux impossibles. Enfin, Gary, l’aîné, est marié et a trois fils, mais les gènes mélancoliques de son père lui ont été transmis et il oscille entre hypocondrie et dépression clinique. Parallèlement à leur vie, qu’une alternance de focalisation permet au lecteur de suivre l’une après l’autre, en le plongeant successivement dans les pensées des héros, la lente descente aux enfers d’Alfred et de sa femme est relatée. Le vieil homme souffre de la maladie de Parkinson et sa déchéance physique s’accompagne d’une démence qui commence lentement à embrumer son cerveau.

Franzen parvient avec brio à se glisser dans la peau de ses protagonistes, à embrasser leur vision du monde, ce qui est sans doute l’une des plus grandes forces des Corrections. Il écrit ce livre alors que son propre père est atteint d’Alzheimer, ce qui lui inspire ce texte, étonnamment mordant et drôle, plein d’un humour noir cher à l’auteur, digne héritier de Don DeLillo et père spirituel d’Andrew Ridker (Les Altruistes) et de Jonathan Miles (Tu ne désireras pas). L’ironie teintée d’absurde qui imprègne ses pages lui permet d’aborder intelligemment la maladie et le troisième âge tout en s’attardant sur la vie des enfants devenus adultes, contraints de jongler entre leur existence mouvementée et la perte d’autonomie de leurs parents.

Jonathan Franzen – Les corrections
[The Corrections – traduit par Rémy Lambrechts]
L’Olivier (Point)
2002
720 pages (696 pages)
24 euros



Ils/elles en parlent aussi : La Dusty Library. La dent dure. En tournant les pages

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18 réflexions sur “Les Corrections, Jonathan Franzen

  1. Ping : Crossroads, Jonathan Franzen – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

  2. Franzen, oui!
    L’homme qui a dit, en parlant de notre époque : « la substance même de nos vies quotidiennes est une distraction électronique totale. »
    Merci pour ce partage et pour la présentation de l’auteur. Les auteurs américains, c’est mon truc, mais là, tu vois, Andrew Ridker… ma culture ne se rendait pas là 😉
    Je vais aller voir ça!!

    Aimé par 1 personne

    1. Ah je ne connaissais pas cette citation, mais effectivement elle sonne très juste !
      Merci à toi pour cet échange. Andrew Ridker n’a écrit qu’un roman, peut-être est-ce pour cela que tu ne le connais pas. J’ai fait ce rapprochement parce que je travaille sur les deux auteurs en parallèle dans mon mémoire donc c’était inévitable 🙂 et j’aurais aussi pu parler d’Anne Tyler qui complète mon corpus.
      N’hésite pas à revenir me dire si tu lis Les altruistes !

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