Les prophètes, Robert Jones Jr.

D’un côté, les prophètes de ces divinités ancestrales nommées les « Sept ». De l’autre, ceux qui portent la parole de Dieu, homme blanc tout-puissant, éclipsant la profondeur des ténèbres et la pureté des étoiles, manifestations fragiles des déités de là-bas, de ce territoire brûlé où les femmes avaient le pouvoir, où il faisait bon danser et rire, manger et chasser, dans une harmonie paisible sous le soleil africain. Tous cohabitent désormais dans un champ de coton, ligne blanche à l’horizon, d’une douceur trompeuse. Les toubabs, la Bible à la main, font régner l’ordre parmi leurs esclaves qui eux oscillent entre prêche chrétien et incantations magiques des anciennes. Samuel et Isaiah, nommés ainsi par leur maître, s’aiment. Deux ombres se mêlent dans le foin de la grange où ils travaillent, non loin de la plantation où triment, cassés en deux, leurs frères et leurs sœurs. Pourtant, la différence et le péché ne sont pas bien vus par ceux qui cueillent tout le jour, et encore moins par ceux qui les surveillent. S’affrontent deux religions, celle de la tradition qui vibre et pulse, qui palpite sous la peau et fait tressaillir la nuit et la surface de l’eau, et celle au nom de laquelle des hommes sont tombés, des femmes sont violées – esclaves couleur d’encre.

Robert Jones, Jr. ancre son récit dans le Mississippi, cent ans avant Delta Blues, autre roman sur l’Amérique Noire de la rentrée littéraire Grasset. Les personnages se révèlent tour à tour, amants, amies, veilleur, vieille sage, enfant déjà mère, divinités perdues à la magie qui perdure, toubab régnant, sa femme, son fils, lentement, en ayant toujours été annoncés avant, présentés par le discours des autres, par leur histoire imprégnée de la terre poussière laissée sur l’autre continent. L’auteur a une langue pleine et mystérieuse qui se replie sur elle-même avant de se délier et de faire ruisseler les métaphores sur la page, souvent nébuleuses, sans doute encore davantage dans la langue de Molière, ici maniée par David Fauquemberg, traducteur de ce premier roman chatoyant et évanescent, obscurément beau. L’amour et la haine hantent Les prophètes, réflexion sur la condition humaine traversée d’éclats magiques à la poésie d’une noirceur lumineuse qui fait naître une plantation et l’anime d’ombres comme jamais auparavant.

Ce roman de Robert Jones, Jr est en lice pour le prix Femina étranger, le prix Médicis étranger, le Grand prix de littérature américaine et le National Book Award.

Merci aux éditions Grasset et à NetGalley pour cette lecture.

Robert Jones Jr – Les prophètes
[The Prophets – traduit par David Fauquemberg]
Grasset
1er septembre 2021 (rentrée littéraire 2021)
512 pages
26 euros

Elle en parle aussi : Les livres d’Ève

4 réflexions sur “Les prophètes, Robert Jones Jr.

  1. Ping : Où vivaient les gens heureux, Joyce Maynard – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

    1. C’est un très beau roman, exigeant de par ses métaphores parfois confondantes, mais lumineux grâce à elles et ce en dépit de la noirceur des existences dépeintes.
      Ce ne sont que les premières sélections, peut-être ne figurera-t-il plus dans les suivantes… Et j’ai oublié de mentionner le grand prix de littérature américaine qui le compte également dans sa « long list » 😉

      Aimé par 1 personne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s