Le fils de l’homme, depuis des siècles
Jean-Baptiste Del Amo s’inspire des tragédies antiques, de cette fatalité cyclique qui pèse sur les pères et leurs enfants, débute son histoire par le récit d’une chasse d’un autre temps, rappelant l’inévitable répétition des actes, la transmission, ancres du Fils de l’homme. Il signe un roman rural et minéral, dur et froid, appuyé contre le flanc raide d’une montagne et bordé par une forêt impénétrable. Une famille vit là, aux Roches, dans cette ancienne bergerie lugubre et vétuste, retapée par le père. Il est soudainement réapparu dans la vie de l’enfant et de sa mère, après des années d’absence et de silence qui l’ont transformé, et les a menés là, dans cette bâtisse d’où ils ne peuvent partir sans lui. La narration alterne entre le récit de la vie ouvrière, humble, dans la petite maison de la femme et du garçon, mitoyenne et grise, semblable à toutes ses voisines, et leur nouvelle existence en pleine montagne avec cet homme qu’il faut leur apprendre à apprivoiser, à défaut de le comprendre. Peu à peu, les arbres et la nature se referment sur le trio, huis-clos étouffant et pesant qui ne laisse pas ou peu espérer des raies de bonheur. En parallèle, le lecteur glane des bribes d’informations sur le passé des parents, sur les activités louches du père et de ses amis, sur sa jeunesse passée dans cette même demeure froide, cernée par les pins et les pics lointains des sommets couronnés de neige éternelle, sur les aspirations des uns et des autres.
Jean-Baptiste Del Amo peint la lumière
Jean-Baptiste Del Amo fait de chaque scène un tableau qu’il peint méticuleusement, s’attardant sur les moindres détails – l’angle d’un bras, la facette manquante d’une dent, la couleur et l’étoffe d’une robe sur une peinture du siècle passé. Les atmosphères éclosent ainsi, par touches de lumière, douceur de l’aube puis blêmeur des nuages, rougeoiement du crépuscule, éclats pâles des étoiles, glauques d’un lampadaire, halos des phares. La lenteur du récit permet aux scènes ainsi dessinées de prendre corps et matière, d’être réellement de ce monde, vivantes. Les dialogues, eux, brisent la beauté monotone des toiles qui naissent de la plume de l’auteur, les jurons et le ton rêche du père répondant à la voix mièvre de la mère, mièvre à cause du ton de Mathurin Voltz, le lecteur de la version audio qui, par ailleurs, rend justice au texte qu’il déclame d’une voix profonde et alanguie, quoique parfois un peu monocorde.
Le sordide se glisse de manière de plus en plus prégnante dans ce roman où ruralité et urbanité s’opposent dans toutes leurs différences pour mieux finalement se rejoindre dans cette poussière souillée qui teinte l’existence de la famille, ici, dans cette petite ville ouvrière miteuse, ou là-bas, dans cette nature sublime et glaçante. Jean-Baptiste Del Amo admet lui-même préférer l’esthétisme à toute chose, avant même un genre. Il le démontre ici, avec ce livre sombre, mystérieux, parfois verbeux, souvent inquiétant, mais aussi très beau, se rapprochant des romans ruraux à la française, de quoi faire pâlir David Vann et son Sukkwan Island.
Après Betty de Tiffany McDaniel, et De pierre et d’os de Bérangère Cournut, Le fils de l’homme est le lauréat du prix du roman Fnac 2021.
Un grand merci aux éditions Gallimard, et tout particulièrement à Frédérique Romain, pour cette lecture.
Jean-Baptiste Del Amo – Le fils de l’homme
Gallimard
19 août 2021 (rentrée littéraire 2021)
240 pages
19 euros
Ils/elles en parlent aussi : Sab’s pleasures. Lili au fil des pages. Les livres de K79. Lire & vous. Vagabondage autour de soi. Mumu dans le bocage. La flibuste des rêveurs. Le petit caillou dans la chaussure. Aire(s) libre(s). Les livres d’Ève
Très belle façon de parler de ce roman si attachant ! L’idée de tableaux est particulièrement judicieuse et correspond très bien à la façon qu’à l’auteur de s’attacher à l’esthétique de ses scènes. Merci pour le lien !
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Merci beaucoup !
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Merci pour le lien. Un magnifique roman !!
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Je t’en prie ! Peut-être un peu lent, mais les tableaux créés par la plume de Del Amo ont assez impressionnants 🙂
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Je veux absolument découvrir cet auteur avec celui-ci ou Règne animal qui semble aussi être excellent.
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C’était une découverte et quelle plume ! Ciselée pour un rythme lent, ample et fourmillant de détails, lumineuse mais noire, noire… 😊
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J’adore quand c’est noir 🙂
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Rural noir, il est pour toi 😉
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Un roman que je pense lire du fait de son prix Fnac, de son histoire et de ce que tu en dis très joliment Cécile. Passe une excellente soirée Cécile 😊🌞
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Je suis sûre que tu en parleras très bien et je suis curieuse de lire une chronique de ton cru à son sujet 😊 très bonne journée à toi Fred !
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Merci ! Je te dirais ça. Belle soirée à toi Cécile 😊
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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Je te félicite pour ta critique, pour les mots choisis! Merci Cécile 🙏
Je vais certainement lire ce livre.
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Merci beaucoup !
J’espère qu’il te séduira par ses tableaux minutieux dans ce cas 😊
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C’est plus le thème des racines et de la transmission qui m’intéresse que le côté rural… Je suis pas trop fan du rural mais plutôt du retour la nature… Le terroir ne m’intéresse pas… Petite info… Il vient d’obtenir le prix Fnac….
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Ah je te comprends, c’est aussi un thème que je trouve vraiment passionnant. Je croyais me souvenir que tu aimais Franck Bouysse et consorts…
Oui je sais, c’est pour ça que j’ai publié ma critique aujourd’hui 😉
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Ma liste de rentrée littéraire est très mince mais il en fait partie 😉
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Toi qui aime ces romans ruraux français je pense qu’il a tout pour te plaire 🙂
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😉
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