Les mangeurs d’argile, Peter Farris

Dans les états du sud, le kaolin est un bien précieux, caché dans le sous-sol des terres marécageuses, entre bois et cours d’eau. Étaient des mangeurs d’argile les Noirs et les indigents qui tâchaient de se remplir l’estomac en oubliant leur faim ; sont des mangeurs d’argile tous les hommes et toutes les femmes attirés par le miroitement de l’or, par la promesse d’un trésor.

Ce roman commence comme une tendre histoire filiale et vire au bain de sang. Jesse vient de perdre son père, peut-être dans un banal accident, peut-être dans un coup-monté. Richie Pelham était apprécié, mais son terrain recelait des merveilles qu’il ne voulait pas voir. Ses cerfs et la beauté de la nature étaient les seuls bijoux qu’il souhaitait préserver, loin des préoccupations des hillbillies vénaux qui habitent alentours. Carroll, le frère de Grace, et cette dernière, la belle-mère de Jesse, semblent nourrir des desseins bien sombres, tout comme les gens de pouvoir du comté, plus corrompus les uns que les autres. Pour l’aider à voir au-delà des faux-semblants et à se frayer un chemin parmi les dépravés, l’adolescent peut compter sur Billy, un vagabond qui erre sur les terres de son père, vétéran au passé obscur mais au cœur pur.

Les premières pages des Mangeurs d’argile laissent à penser que le livre fera la part belle à la nature sublime mais étouffante du sud-américain, et à ceux qui la respectent, vivant en harmonie avec elle – presque à la manière d’une version sudiste de Ces montagnes à jamais de Joe Wilkins. Cependant, très vite, l’appât du gain et la défiance militariste des habitants de ces contrées de la Bible Belt prennent le pas sur les descriptions du monde sauvage en choisissant la voie de la violence extravagante.

Peter Farris signe un livre bien noir sur la Géorgie, les affres de son récit laissant parfois songer qu’il s’adonne à l’ironie. Aucun de ses personnages ne semble sain, ni d’esprit, ni de corps. Tous, à l’exception du garçon qui fait de cette histoire un roman d’apprentissage, et de ses amis, si rares, sont déséquilibrés, hantés par la cupidité et par les paroles d’un Seigneur dont on aurait renversé la morale. En cela, le récit se rapproche d’Au nom du bien, de Jake Hinkson, l’humour pince-sans-rire en moins. Ici perdure l’impression que l’auteur se prend au sérieux tout en imaginant pourtant un scénario loin de toute vraisemblance et finalement très stéréotypé. La nuance n’est pas de mise, à part peut-être grâce à la présence de Billy, ce fugitif qui pourrait être touchant et qui se lie avec Jesse, d’une manière presque émouvante. Malgré tout, le portrait de cet homme reste très superficiel et son passé, trop survolé pour vraiment attendrir le lecteur. L’alternance de focalisations aurait, elle aussi, pu apporter une variété de tons bienvenue – ce qu’elle fait, dans une moindre mesure. Mais, là encore, le manque de profondeur des personnages secondaires et de détails concernant leur vie fait patiner le roman.

Peter Farris – Les mangeurs d’argile
[Clay Eaters – traduit par Anatole Pons-Reumaux]
Gallmeister (totem)
4 mars 2021
336 pages
10 euros

Ils/elles en parlent aussi : Le café littéraire de Mylittlepatchoulie. Ilmi’ Mag. Les lectures de Ffloladilettante. Jeux lit avec Sally. Le blog de Krol

22 réflexions sur “Les mangeurs d’argile, Peter Farris

  1. Émilie

    J’avais bien aimé celui-ci, même si moins que « Le diable en personne » du même auteur qui fait partie de mes livres préférés 🥰 Je suis dans « Dernier appel pour les vivants » en ce moment, j’aime pas mal le début, et ce que l’auteur propose de façon général !

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    1. Oui, j’ai cru comprendre que c’était un chef d’œuvre ! J’ai aimé le début des Mangeurs d’argile mais il vire trop rapidement au bain de sang invraisemblable à mon sens… tant pis, peut être que la rencontre sera plus concluante si je me plonge dans Le diable en personne (à l’occasion 🙂 )
      Je surveillerai ton blog pour te lire au sujet de Dernier appel pour les vivants en tout cas !

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      1. Émilie

        Il faut sûrement adhérer au genre, effectivement. J’ai trouvé les mangeurs d’argile un peu en dessous des deux autres, mais ça ne les rend pas moins « violents ». Ce sont des romans noirs, très noirs, comme je les aime ☺ Dernier appel pour les vivants, que je viens de finir, est au même niveau que Le diable en personne : du très très bon en ce qui me concerne, tout ce que j’aime !

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  2. Maximelefoudulivre

    Bonjour Ceciloule,

    Pour ma part, j’ai adoré ce livre, j’ai trouvé le scenario génial avec un enfant courageux qui fait la rencontre d’un homme bien étrange.

    Je trouve les descriptions efficaces (sans être superflues). Le rythme est doux pendant une grosse partie de l’histoire.

    Je ne spoile pas mais la fin est un peu plus tarantinesque (si on peut dire ca comme ca) ce qui donne un gros coup de pep’s.

    Bonne journée 🙂

    Maxime

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    1. Bonjour Max,

      Je savais que j’allais te décevoir avec cette critique… Au contraire, le scénario est plutôt classique, cette amitié improbable apparaissant dans divers récits. Quant aux descriptions, à mon sens, elles ne sont pas « efficaces » mais font le sel du roman et lui confèrent une ambiance moite et singulière. Elles sont donc indispensables, je te rejoins sur ce point ! J’ai simplement regretté que le livre s’en éloigne et bascule dans le « tarantinesque ». L’adjectif est bien choisi !
      Bonne journée à toi aussi 🙂

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