Chant des plaines, Wright Morris

Comme dans Le déjeuner de la nostalgie d’Anne Tyler et, avant lui, Tandis que j’agonise de William Faulkner, ce sont les derniers instants de l’héroïne, ses réminiscences tandis qu’elle git sur son lit de mort, qui sont le point de départ de Chant des plaines. Cora se replonge dans ses souvenirs, revit sa rencontre avec Emerson, sa nuit de noces durant laquelle « l’horreur excéda l’horreur. » Et puis ces jours longs, mornes, rythmés par les corvées de la ferme donnent naissance à deux filles, Madge et Sharon Rose qui bientôt embrasseront à leur tour leur destin. Si la première mettra ses pas dans ceux de sa mère, la seconde s’en éloignera, résolue à ne pas être une simple tête de bétail dans le regard des hommes, mais à vivre sa vie avec indépendance et liberté.

Wright Morris part du début du XXème siècle puis avance, lentement, jusqu’aux années 1970 et à la montée du féminisme, aux congrès qui agitent les mœurs et les cœurs féminins, décidés à s’émanciper, enfin. Méconnu en France et pourtant lauréat du National Book Award pour ce même roman, l’auteur n’est plus de ce monde depuis 1998 mais ses écrits demeurent, prochainement traduits chez Christian Bourgois. Brice Matthieussent a ainsi enrichi cette édition d’une préface contextualisant l’œuvre de Morris. C’est également lui qui se plie au rythme brut de l’auteur et contraint le français à ne pas s’épandre.

Son écriture est rêche, presque abrasive dans sa simplicité factuelle, proche du quotidien des paysans du Nebraska qu’il connaît si bien, enfant de cet état qu’il a quitté sans jamais complètement l’abandonner, le laissant hanter ses livres et ses photographies. Chant des plaines s’attache à dépeindre la rudesse grossière des murs en bois, du sol plein de promesses d’échardes mais bientôt recouvert de linoléum, de la terre asséchée par le soleil brûlant et par le vent, aussi âpre que la plume de Wright Morris. Pourtant, ses phrases prennent de l’ampleur et de la rondeur, deviennent presque moelleuses alors qu’il quitte Cora pour plonger dans les pensées de Sharon Rose – puis redeviennent sèches tandis qu’il retourne à Lincoln, dans la tête de Madge puis à nouveau dans celle d’une Cora vieillissante. Les non-dits et l’implicite couvent sous ses mots, tandis que la rugosité de ses énoncés confond parfois, laisse une idée en suspens, semblable aux particules de poussière en suspension dans l’air, dans la lumière.

En plus de faire le récit de la montée de la modernité, de l’arrivée des machines dans les champs, des lave-linges et des réfrigérateurs dans les maisons, l’auteur décrit sans concession cette lignée de femmes, leurs espoirs et leurs désillusions. Il fait ainsi preuve d’une étonnante sagacité et d’un féminisme certain malgré la date de publication originale de ce livre – 1980.

Un grand merci aux éditions Christian Bourgois pour cette lecture.

Wright Morris – Chant des plaines
[Plains Song: For Female Voices – traduit par Brice Matthieussent]
Christian Bourgois
18 mars 2021
288 pages
22,50 euros

Ils/elles en parlent aussi : En lisant, en écrivant. Au fil des livres. Julie à mi-mots. Christlbouquine

Publicité

9 réflexions sur “Chant des plaines, Wright Morris

  1. Ping : Les saisons et les jours, Caroline Miller – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s