Edie est affamée. Affamée de vie, de plaisir, d’argent, d’amour – sa faim ne semble pas en décalage avec celle que peut ressentir une femme d’aujourd’hui. Après le début d’une aventure avec un homme marié, les désastres s’enchaînent : la maison d’édition où elle travaillait la chasse, son appartement se referme derrière elle, ses toiles lui refusent l’accès à tout autoportrait. Cohabiter avec la femme de son amant et Akila, leur fille adoptive à la peau aussi sombre que la sienne, semble ainsi dans la suite logique des choses, comme le point d’une phrase catastrophée et catastrophique, inéluctable fin. Une quinquagénaire blanche, distante mais étonnamment attentionnée et une jeune adulte noire qui a grandi trop vite et doit jouer le rôle de la grande sœur pour Akila. Deux générations qui se heurtent et se confrontent, apprennent à comprendre l’autre dans une maison qui devient le théâtre d’une routine s’installant peu à peu alors qu’Eric est ailleurs, loin, pas encore au courant de l’entente entre les deux femmes qui partagent son existence habituellement compartimentée et refusionnant soudain.
Les phrases sont soignées, longues, résolument contemporaines mais aussi recherchées – Raven Leilani est ainsi l’une des protégées de Zadie Smith et a suivi il y a quelques années l’une de ses classes de creative writing. Elle signe ici un roman intelligent et féministe, paradoxalement humaniste, à la fois mordant, décomplexé et complexé. Sa narratrice a conscience de son corps, douloureusement conscience et simplement conscience tant dans ses recoins les plus intimes que dans ce qui est visible de tous – sa couleur de peau, notamment. Elle évoque ainsi son rapport aux autres – le comportement de certains blancs envers elle, les regards entendus et les quiproquos policiers –, comme Nicolas Fargues, pourtant homme blanc de quarante ans racontait avec beaucoup d’intelligence le quotidien d’une jeune française noire dans Je ne suis pas une héroïne. Outre sa place dans le monde, Edie s’attarde aussi sur son intériorité. Ses défauts, sa présence, ses appétits, son empreinte. Elle décrit avec une distante proximité ses envies, désirs, pulsions, pensées, craintes, failles, ignorant certaines conventions et n’ayant pour cela pas peur de la crudité. Affamée est une autopsie de la vie d’une milléniale noire et new-yorkaise au même titre que Fille disséquait celle d’une femme née dans les années 1960. Le « je » se compare ici au « elle », et l’auteure examine la rencontre entre les deux âges d’une femme, la narratrice et son hôte étant les reflets jalousés l’une de l’autre malgré leurs différences – l’une est blanche, mariée, à l’emploi stable, détachée en apparence et l’autre est noire, jeune, sans attache émotionnelle apparente (pas même envers elle-même), exigeante et déjà épuisée malgré son avidité lassée. La bande-son de ce premier roman est d’ailleurs à l’image de cet habile jeu de miroir et oscille entre disco et tubes pop-rap de ces quelques dernières années.
Merci aux éditions du Cherche-midi et à NetGalley pour cette lecture.
Raven Leilani – Affamée
Cherche-midi
[Luster – Nathalie Bru]
25 février 2021
320 pages
22 euros
Ils/elles en parlent aussi : Les voyages intérieurs, Les lectures de Lanie, Little coffee book, Jeux lit avec Sally, Mes échappées livresques, Pretty Rosemary, Dealer de lignes, Les Miss Chocolatine bouquinent, Sonia boulimique des livres, Les lectures de maman nature. Les yeux dans les livres
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C’est effectivement un roman qui fait débat, que l’on peut adorer ou détester à cause de son style cru et percutant.
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Exactement 😉
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Tu sembles plus emballée que moi, je suis complètement passée à côté…
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Oui, j’ai lu ça… D’après ce que j’ai vu, il est très clivant ! J’ai aimé son parti pris mais je comprends tout à fait qu’il agace ou laisse de marbre.
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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il est tentant celui-ci, je ne l’avais pas remarqué sur NetGalley 🙂
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En tout cas il fait débat 😉 sache qu’il est assez cru et ne s’embarrasse pas vraiment de convenances, ce doit d’ailleurs être une des raisons qui fait qu’on aime beaucoup ou pas du tout !
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ah bémol je n’aime pas quand c’est trop cru ….
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Ça ne m’a pas gênée du tout parce que je trouve que les passages font vraiment partie du roman sans déranger la lecture et ne sont pas non plus hyper détaillés, mais ma mère a refermé le livre au bout de 30 pages. Ça passe ou ça casse !
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