En lisant ces éclats de vie, d’aucuns réaliseront que Sinéad Gleeson n’a pas eu une existence aisée. Problèmes osseux, hanche de porcelaine, leucémie, kystes, césariennes – son corps a souffert. Du métal est éclaté partout en elle, à l’image d’étoiles dans le ciel. Alors pour raconter cette enveloppe qu’elle habite, elle mêle souvenirs et sensations, références artistiques parfois macabres, parfois féministes, toujours audacieuses. Elle dit la douleur, le sang, la soie des cheveux, la blancheur anesthésiée des hôpitaux, la froideur de ses lits et de ses visages, la condescendance médicale. Elle unit ses dissolutions pour les fondre en une seule, métal en fusion, couche après couche – dissolutions après dissolutions quand Philippe Lançon (Le lambeau) racontait une reconstruction. D’une plume imagée, elle fragmente ce qu’elle est tout en reliant les étoiles pour former des constellations, celles de sa vie, de son parcours de guerrière, des combats de sa chair. Être mère, avoir le choix, être maître de ce corps qui est nôtre, apprendre à s’aimer, lutter pour la liberté. Être une femme, et tout ce que cela implique – en Irlande plus qu’ailleurs, dans le catholicisme étouffant qui enserre les femmes plus sûrement qu’un corset des siècles passés.
Mais ce que Sinéad Gleeson ne dit pas, c’est la douceur du soleil sur les joues, le parfum entêtant des fleurs l’été, la caresse de l’herbe sur les mollets, le beurre des pâtisseries, la pâte feuilletée qui fond sur la langue, le sucre qui enrobe le palais, les baisers passionnés, le désir qui échauffe la peau, les corps et les cœurs, le bonheur d’une glace face à la mer, les embruns qui giflent la peau, l’odeur du pain chaud – tout ce que Paul Eluard écrit dans « Je t’aime ». À la place, elle dit la souffrance et la faiblesse de notre corps, ce mécanisme faillible qui, inévitablement finit par s’enrayer. Elle oublie les plaisirs qui se glissent partout dans la vie, qui réchauffent nos tissus et mettent du baume au cœur. La mort et la maladie teintent ces pages d’une lueur macabre, balayent toute innocence, toute insouciance. Seule accalmie, rayon de soleil dans cette noirceur, le poème final qu’elle dédie à sa fille, à la fois avertissement et ode à la vie.
Merci aux éditions de La Table Ronde qui, en contribuant à enrichir aVoir aLire, ont contribué à enrichir Pamolico.
Sinéad Gleeson – Constellations
Traduit par Cécile Arnaud
La Table Ronde
11 février 2021
304 pages
22 euros
Ils/elles en parlent aussi : L’atelier de Ramette 2.1, Charlotte Parlotte, Lettres d’Irlande et d’ailleurs, Mille (et une) lectures de Maeve, La viduité
Vous me mettez l’eau à la bouche !
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Et pourtant je n’ai pas aimé !
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J’aime ta description des beaux côtés de la vie, c’est très joliment fait. Je vais éviter ce livre pour le moment car il est trop sombre 😊
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Merci beaucoup ! La noirceur éclipse complètement toute étoile, en effet…
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je l’ai noté, mais j’hésite encore par peur que cela ne soit trop sombre
c’est idem avec « Le lambeau » qui est resté longtemps en pense-bête et que j’ai fini par acheter mais pas encore lu … 2e (fausse) excuse c’est un pavé 🙂
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Ah il l’est, je te le confirme !
Lire Le lambeau a été difficile également mais on sent que Philippe Lançon tend vers la lumière, se raccroche à la vie de toutes ses forces, tandis que Sinéad Gleeson se concentre sur les souffrances que son corps lui a fait subir depuis son plus jeune âge, occultant presque la beauté d’être en vie et certains moments qui pourraient le lui rappeler…
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Oh mince, effectivement, nous n’en avons radicalement pas fait la même lecture ! Merci pour le lien, bonne journée à toi 🙂
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Je t’en prie, bonne journée à toi aussi 🙂
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Bonjour. Merci pour m’avoir mentionnée. Je me demande toujours quelle est la part personnelle et la part « universelle » de ce quelle raconte. Je ne lis pas en anglais et jai trouvé peu d’infos en français.
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Bonjour,
De rien ! Je pense qu’elle part de son expérience propre pour tendre à l’universel mais ce dont elle parle est, pour moi, clairement ce qu’elle a vécu.
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Dans mon pense-bête depuis un moment, ton avis me confirme que c’est de la poésie qui a tout pour me plaire. Je vais me procurer le recueil sous peu je pense !
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Ce n’est pas de la poésie, mais il s’agit de brèves au sujet des traumatismes vécus par son corps, rythmés par des anecdotes artistiques.
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J’en ai lu quelques extraits, il y a tout de même quelque chose de la poésie en prose, dans les jeux de répétition et de scansion. Une lecture complète me permettra de confirmer, ou d’infirmer, ceci.
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Tu me diras alors ! Je ne l’ai pas ressenti comme cela en tout cas.
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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Sombre, certes, mais ponctué par une touche finale d’ouverture
J, aime, ….malgré tout
Patrick
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J’ai été presque figée par certaines pages tant elles m’ont dérangée dans la souffrance relatée et le sinistre de l’art décrit… ce n’était pas pour moi !
Tant mieux si vous avez été touché et merci de votre passage.
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trop sombre pour moi
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Sombre, il l’est, c’est une certitude…
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