Chris Kraus le dit lui-même, l’histoire nazie a une influence non négligeable sur son œuvre. S’il s’en éloigne davantage dans Baiser ou faire des films que dans La fabrique des salauds, son narrateur, Jonas Rosen, n’en est pas moins tourmenté par les actes nébuleux de son grand-père, Apapa, qui fut SS pendant le Troisième Reich. Étudiant en cinéma, le Berlinois de vingt-neuf ans a malgré tout une vie colorée et presque insouciante – en apparence. Dans le cadre de son cursus, il s’inscrit à un séminaire intitulé « Baiser ou faire des films », et ce cours et le projet mené par le baroque Lila von Dornbusch constituent le point de départ du récit. Cette ancienne star du porno gay s’est convertie au professorat et compte bien insuffler une énergie nouvelle et décadente à ses élèves qu’il juge bien trop sages et coincés. Son cours se bâti autour d’une ambition : que ses étudiants tournent un film sur le sexe à New-York.
Construit à la manière d’un journal intime, ce roman est avant tout extrêmement drôle et savoureux. Les carnets de Jonas racontent ses aventures alors que Lila l’envoie en éclaireur aux États-Unis pour préparer le terrain avant que la classe n’arrive. Le logement, le lieu de tournage, le sujet du film – tout repose sur ses fragiles épaules qui portent aussi le poids de son « ciboulot-de-porcelaine », sa tête étant marquée d’une longue estafilade rappelant à quiconque qu’il peut mourir à tout instant. D’un taudis hanté par un professeur homosexuel obèse et très particulier (connaissance de Lila) au salon luxueux de Tante Paula, rescapée juive de l’Holocauste, en passant par le Museum d’Histoire Naturelle et le Bronx Zoo, Jonas erre dans les rues de la Big Apple de 1996, croise des stars de cinéma aujourd’hui déchues, et baigne dans l’atmosphère du regret de la Beat Generation, de ses Kerouac, Ginsberg et Burroughs dont l’ombre plane au-dessus des chapitres, silhouettes mythiques ici distordues par Chris Kraus, fidèle à sa volonté de signer une satire pleine d’esprit et d’humour noir, parfois scatologique ou sexuel mais plus souvent confinant à l’absurde. Chaque paragraphe semble construit à la manière d’une nouvelle à chute et l’ironie imprègne ces pages, bien plus que le besoin d’évoquer le sombre passé de l’Allemagne – ici, ce sont les chambres à gaz lettones qui apparaissent en filigrane, derrière les fantômes de la culture américaine à l’aube du changement de siècle. Pour fond sonore, la voix d’Alanis Morisette, Belfond allant jusqu’à s’inspirer de la pochette de « All I Really Want » pour la couverture.
Un grand merci aux éditions Belfond, ainsi qu’à NetGalley pour cette lecture.
Chris Kraus – Baiser ou faire des films (traduit de l’allemand par Rose Labourie)
Belfond
21 janvier 2021
336 pages
22,50 euros
Ils en parlent aussi : L’oeil de Sauron, L’art et l’être
16 réponses sur « Baiser ou faire des films, Chris Kraus »
Tu me rappelles que j’ai La fabrique des salauds dans ma pal 🙃 Et celui-ci a l’air de valoir le détour également on dirait !
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J’avais envie de le lire mais le nombre de pages…!
Oui, le côté décalé m’a vraiment séduite 🙂
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Haha oui le nombre de pages explique pourquoi il est toujours au chaud dans ma pal 😬😅😂
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Je comprends tout à fait 🙈😉
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« La fabrique des salauds », j’ai trouvé ce livre d’une puissance d’évocation rare ! Allez hop dans ma PAL 😉
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Je m’en rappelle ! J’ai même vérifié le nombre de pages de celui ci avant de le demander sur NetGalley 😉
C’est vraiment un roman savoureux et décalé à souhait.
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C’est vrai que la Fabrique des salauds du même auteur était un sacré pavé ! 😉
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C’est avec notre échange en tête que j’ai vérifié 😉
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excellent ! 😉
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Après ma lecture de La fabrique des salauds, il est dans ma liste d’envies
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C’est un roman décalé et addictif, et bien plus court que La fabrique des salauds 😉
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Il m’attend dans ma liseuse … Hâte 😉
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Ah je comprends ! Régale toi 🙂
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j’ai vraiment beaucoup aimé « La fabrique des salauds » j’hésitais pour celui-ci tu me donnes des regrets, je vais tenter ma chance 🙂
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Je croise les doigts alors 😉
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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