Avec Un mirage finlandais, Kjell Westö revient sur les conséquences d’une période peu glorieuse et peu connue en Europe continentale. Dans une postface destinée à l’édition française, l’auteur explique de façon claire et concise la scission qui s’opéra en Finlande peu après la Première Guerre Mondiale, et il revient sur la guerre civile qui déchira le pays, indépendant de l’Empire Russe depuis peu. Les Rouges (communistes), soutien de la Russie suite à l’indépendance, ont été internés dans des camps, violentés par les Blancs (bourgeois), eux soutenus par l’Allemagne. Ainsi, il replace son récit dans son contexte, apporte un éclairage bienvenu sur quelques allusions nébuleuses pour un lecteur non-averti. Nous sommes à la fin des années 1930, la société finlandaise étant toujours aussi divisée, les blessures passées toujours à vif. À la veille de la Seconde Guerre Mondiale, alors que Staline et l’influence communiste affolent plus que jamais le peuple d’Helsinki, alors qu’Hitler gravit les échelons et attise la haine, la capitale finlandaise s’échauffe, se fracture encore plus qu’elle ne l’avait déjà fait.
Le roman alterne les focalisations. Tantôt est-ce dans la tête de Claes Thune, un avocat timide et renfrogné toujours hanté par le délitement de son mariage, que le lecteur se retrouve plongé, tantôt est-ce dans les pensées de Milja Matilda Wiik, secrétaire de Thune, secrète et discrète mais travailleuse. Le juriste est habité par des dilemmes intérieurs, en tant que libéral mais non-communiste qui doit faire face à la montée de l’antisémitisme – et ce y compris parmi son cercle d’amis les plus proches. Les Clubmen, comme ils se surnomment, se réunissent une fois par mois chez l’un ou l’autre de ses membres et les discussions sont parfois houleuses, jalousie et rancunes passées s’ajoutant aux dissensions politiques. Alors qu’ils se retrouvent tous pour la première fois dans le cabinet de Thune, Matilda, qui les rencontre donc, se fige…
Suspendu aux phrases qui suivront, le lecteur dévore les pages, en apnée. Cette fresque historique étonnante est donc également un roman psychologique brillamment mené. Les perspectives se relayent, l’ambiance pesante de la ville pénètre les os. L’auteur saisit l’atmosphère poudreuse, surannée de l’entre-deux-guerres et l’entrelace aux tensions ambiantes. Il mâtine son roman d’expressions désuètes, parfois familières, ce qui ne l’empêche pas de poétiquement peindre les nuages de l’azur ou son embrasement. En effet, déjà alors, cinq ans avant Nos souvenirs sont des fragments de rêves, Kjell Westö avait un don certain pour écrire la lumière, pour raconter l’insaisissable légèreté de l’air, le brouillard qui nimbe la réalité quand le monde retient son souffle avant une catastrophe.
Les éditions J’ai Lu en parlent ici.
Ils en parlent aussi : Des mots et des mailles, 47 degrés nord, Blondes and littéraires, Le monde de Tran, Dans le manoir aux livres
17 réponses sur « Un mirage finlandais, Kjell Westö »
[…] l’auteur démontre une nouvelle fois après Nos souvenirs sont des fragments de rêves et Un mirage finlandais, la finesse de son écriture et son habileté à dire la lumière, la Finlande et ses habitants. De […]
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Un sujet très intéressant. Je connais ce sujet du fait de mes études d’histoire. C’est passionnant. Merci Cécile ! ps: grâce à Prince Taliesin et toi je sais qu’elle est l’origine de cette très belle couverture.😉
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Oui, en effet !
C’est l’affiche au dessus du roman et non la couverture du livre qui est tirée de Mayerling mais ravie que nos échanges t’aient éclairé 😉
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ah autant pour moi (je me disais aussi ^^)😉 Beau week-end Cécile 😊
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Beau week-end à toi aussi Fred 😉
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Merci Cécile, je le note aussi.🤩
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Merci à toi ! En espérant qu’il te plaise 😉
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très intéressant je le note aussi 🙂
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Intéressant, c’est le terme !
Et je viens d’apprendre qu’Autrement publie un nouveau roman de cet auteur en janvier 😉
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[…] https://pamolico.wordpress.com/2020/12/07/un-mirage-finlandais-kjell-westo/ […]
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Cela semble passionnant, par le style et le contexte.
Et pourquoi cette affiche de Mayerling en arrière plan ?
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Oui, c’est une immersion que je recommande chaudement !
Je reconnais bien là le cinéphile 😉 Matilda, la secrétaire, trouve son réconfort dans les salles obscures et Mayerling fait partie des films qu’elle va voir, d’où l’affiche.
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Darrieux/Boyer, j’hésitais avec « Madame de ». Mais vu la période du roman…
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Bien vu 😉
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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Je me le note celui-ci tient…
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😉
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