Héritage, Miguel Bonnefoy

Là où Ceux qu’on aime de Victoria Hislop péchait par trop de longueurs et un déséquilibre temporel, Héritage de Miguel Bonnefoy pèche par trop de brièveté. La plume est poétique, imagée, les sonorités se font écho, à tel point que certaines phrases se rapprochent du vers transposé en prose. Le conte et le fantastique ne sont jamais très loin – l’auteur parvient à infuser son roman d’aérien, de fantaisie, juste suffisamment pour le rendre léger, poétique, éthéré. En toile de fond de cette fresque familiale décidément trop courte, le Chili, pays de tous les dangers. À chaque génération des Lonsonier, une guerre vient percuter les destins, heurter les rêves, briser une jeunesse. De Lazarre au début du siècle passé à Ilario Da sous Pinochet, une centaine d’années de douleurs et de pertes mais aussi de vol et de douceur duveteuse, entre plumes d’oiseaux et ailes de tôles. Héritage ou un schéma qui se répète, la peur de la trahison et de la lâcheté, finalement la nécessité de se sauver soi face aux autres, les blessures du corps et de l’âme, inguérissables, la passion pour l’azur, cet éternel firmament où puiser sa liberté.

Miguel Bonnefoy, pour ce récit, s’inspire de ses racines chiliennes, des immigrations et émigrations qui ont rythmé le présent de ses ancêtres, véritables oiseaux migrateurs, porteurs de cultures et d’héritage d’un pays à l’autre, le ciel comme seule voie certaine. Il rend également hommage à son père, torturé pendant la dictature chilienne. Quant à l’influence latine, elle se sent derrière les mots, elle tire ce roman vers le fantastique, le baroque typique de cette littérature colorée et fantaisiste – d’aucuns se rappeleront Tango d’Elsa Osorio, traversé par des voix spectrales, par un souffle venant tout droit de l’au-delà.

Mais ces cent années se déroulent en deux cents pages ce qui ne donne pas le temps au lecteur de connaître les personnages, de découvrir les caractères, de s’y confronter, de s’y identifier. Tout juste peut-il s’habituer au travers de l’un avant que la narration ne plonge en avant, ne laisse ce protagoniste au second plan pour s’intéresser à sa descendance. L’Histoire berce ce roman, tantôt songe tantôt cauchemar, mais les silhouettes des héros ne resteront que trop brouillées, pas assez marquées, pour faire date.

Héritage (Rivages) était dans la première sélection du Goncourt aux côtés des Roses fauves, de L’anomalie et des Impatientes notamment. Les deux derniers sont dans le carré final.

Ils en parlent aussi : Au chemin des livres, Sorcière misandre, InTheMoodFor, Le petit poucet des mots, Joellebooks, Rue des lettres, Nom d’un bouquin, Bibli de Nana, La librairie d’Hélène, Patricia Sanaoui Olivier, En lisant, en écrivant, Une libraire blogueuse, Au temps des livres, Les livres de K79, Mes échappées livresques, Coquecigrues et ima-gi-nuages, Livr’escapades, Aux vents des mots, Mes ailleurs, Demain je lis, Ju lit les mots, Les cahiers de Corinne

21 réflexions sur “Héritage, Miguel Bonnefoy

  1. J’avoue que l’amatrice de bons gros pavés que je suis était un peu sceptique et pensait cela bien ambitieux de vouloir couvrir un siècle d’histoire en 200 pages. Puis, j’ai été soufflée par les premiers chapitres et étrangement pas gênée par la brièveté des pages consacrées à chacun des personnages tant j’ai trouvé son style beau et maîtrisé. En revanche, l’auteur m’a totalement perdue avec son fantôme et je n’ai ensuite malheureusement plus réussi à raccrocher complètement. Ça reste néanmoins une belle découverte. Mon billet suivra demain.

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    1. Ah, je vais surveiller alors ! 😉
      Le style m’a soufflée également mais je suis restée un pas en dehors la majeure partie du temps malgré quelques épiphanies… chaque passage à un nouveau personnage m’arrachait un soupir, je l’avoue. Quant au fantôme, je le vois davantage comme un clin d’oeil à cette littérature latine, comme un hommage, que comme un véritable twist scénaristique (même si cela surprend…). Nous avons donc toutes les deux quelques réserves mais pas pour les mêmes raisons 😉

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      1. Je n’ai lu que quelques uns de ses multiples auteurs mais c’est une caractéristique que l’on retrouve souvent 🙂
        Il y a de grands noms, mais c’est compliqué de lire les plumes de tous les pays !

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  2. J’ai trouvé le style de Miguel de Bonnefoy brillant et j’ai été emporté par le souffle de l’histoire. Mais le regard que vous portez sur l’ensemble du roman est intéressant. Je me suis souvenu d’avoir pensé, en le lisant, que c’était « trop bien écrit », mais c’est un peu tordu je l’avoue ! Je n’ai pas boudé mon plaisir.

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  3. Je te rejoins en partie. Chez moi, ce n’est pas tant le concentré du temps en cent pages qui me fait perdre de vue l’importance du message mais plutôt l’exagération du burlesque. Je l’avais déjà un peu ressenti dans Sucre noir. Je préfère l’auteur avec plus de finesse, de sobriété tout en gardant cette part de fantastique comme dans Le voyage d’Octavio.

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    1. Qu’entends tu par burlesque ? Baroque et fantaisiste oui, mais burlesque je ne vois pas… en tout cas, c’est teinté de chimérique, de ce foisonnement latin presque fantastique parfois. Ce n’est pas ce qui m’a gênée, au contraire, mais je comprends que cela dérange.
      Je n’ai pas lu les autres romans de cet auteur, mais why not, je note ce que tu en dis 🙂

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