Rebecca, Ben Wheatley

Manderley et ses falaises d’albâtre, et ses à-pics qui se jettent dans la mer, et son parc, et ses pièces luxueusement meublées, et sa soie, et sa porcelaine, et son satin. Et son fantôme.

Rebecca, si elle n’erre pas en chair et en os dans sa chambre restée intacte, fait bien planer son spectre au-dessus de la demeure majestueuse qu’elle a quittée en même temps que notre monde. Un an plus tôt, elle a péri, sans que notre héroïne n’en sache beaucoup plus… Celle dont le nom n’est pas prononcé, la narratrice du roman, est une ingénue fragile pleine de bons sentiments qui déchante rapidement après le délice de la lune de miel qu’elle passa auprès de Maxime de Winter. Ce dernier se crispe à la simple évocation de sa défunte épouse, à la moindre référence à ce qui aurait pu la toucher de près ou de loin. Quant à la gouvernante, Mrs Danvers, elle ne souhaite que le malheur de notre petite blonde, bien décidée à la faire déguerpir.

Armie Hammer, le charmeur de Call Me By Your Name et le peintre exaspérant de Giacometti, The Final Portrait, prête ses traits à un Max de Winter secret et séduisant. Lily James, la naïve protagoniste réussit à accrocher la caméra et à donner un peu de profondeur à son personnage que le scénario ne gâte pas, même si ses moues n’arrivent pas à la cheville de celles de Joan Fontaine dans la version de 1940 d’Hitchcock. Et enfin, Kristin Scott Thomas, la Mrs Danvers de cette adaptation, excelle dans l’exercice de style et donne vie à un personnage froid et plein d’ambiguïté – dommage donc que le film ne lui accorde que peu de place.

Là où le roman était exemplaire d’un style gothique devenu adulte, ayant mûri, là où le film d’Hitchcock saisissait l’ombre et la lumière du bestseller, l’adaptation Netflix (libre adaptation devrait-on dire), n’est qu’une pâle comédie romantique, une sorte de mélodrame bercé de cordes sur-présentes. La tension que Daphne du Maurier faisait peser sur ses personnages n’est ici que peu accentuée, le réalisateur ayant préféré se concentrer sur la romance entre Max et sa femme – qui n’est même pas réellement développée. Tout reste entamé sans être achevé, comme si Ben Wheatley avait voulu concentrer les quelques cinq cents pages du classique britannique en deux heures à la fois indigestes et finalement assez ternes. Rendons cependant justice au film : les décors et la photographie sont à souligner. L’ambiance féérique du manoir – l’ambiance d’avant les désillusions et les révélations – a été recréée avec minutie et brio, tandis que la Monaco du premier quart d’heure et sa lumière douce redevient celle qu’elle était dans les années 1930, se parant de couleurs pimpantes et de voitures rétros à souhait.

Dommage donc que la romance et les anachronismes grignotent sur l’énigme et l’atmosphère mystérieuse qui baigne le roman, que les choix scénaristiques rendent si peu grâce à l’œuvre originale – les acteurs auraient mérité un script plus fin et plus abouti.

La bande-annonce est disponible ici.

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22 réflexions sur “Rebecca, Ben Wheatley

  1. Voilà, comme je le pensais le film de Wheatley plaît surtout aux personnes qui n’ont pas lu le roman ni vu la version d’Hitchcock. Il en fait tellement une histoire axée différemment… et personnellement je le préfère car c’est le seul qui permette clairement d’envisager l’histoire comme on la définirait aujourd’hui : un féminicide.

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    1. Pour moi le film n’est même pas axé différemment, il est juste fade… quant à l’idée de feminicide, je t’avoue qu’elle ne m’a pas effleurée et que je vois davantage la mort d’ici comme un meurtre : Rebecca n’était pas maltraitée, violentée, c’est un crime conjugal comme un autre qui aurait pu être inversé.

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      1. Un crime conjugal peut tout à fait être un féminicide, si c’est la femme la victime… Il la tue parce qu’il ne supporte pas qu’elle fréquente d’autres hommes et puisse être enceinte d’un autre, ça colle tout à fait à l’acception contemporaine du terme, si on regarde les affaires judiciaires concernées.

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