Sorry We Missed You, Ken Loach

Comme dans tous les Ken Loach, les ténèbres l’emportent. Sorry We Missed You, ou le triomphe du capitalisme, l’ubérisation, les petites gens broyées par la machine infernale. Ricky (Kris Hitchen, plombier pendant deux décennies), au début du long-métrage, s’engage dans une voie sans issue (toutes les voies sont toujours sans issues avec ce réalisateur) et devient chauffeur-livreur pour une plateforme. En réalité, il se met à son compte mais tout en dépendant des ordres de Malaunay, « grand salaud » comme lui-même se qualifiera. Les journées sont harassantes, les moments de répit, rares – voire inexistants. Heureusement, sa fille est son rayon de soleil dans cette vie intenable. Quant à Abby, sa femme, elle est toute aussi épuisée que lui, enchaîne les visites. Elle est aide à domicile, un autre métier difficile, peu payé et qui la force à se déplacer dans tout Newcastle sans voiture puisque la vente de cette dernière a permis à Ricky de déposer un chèque de caution pour louer la camionnette indispensable à l’exercice de ses nouvelles fonctions. Enfin, le portrait de famille ne serait pas complet sans Seb, l’adolescent rebelle, tagueur à ses heures perdues, en conflit avec son père qui espère un avenir meilleur pour lui.

Les parents se saignent, le fils dédaigne, la fille sanglote ; les mauvais choix se multiplient, comme les coups du sort qui pleuvent sur les Turner, touchants dans leur malheur. Sorry We Missed You, comme les notes déposées dans les boîtes aux lettres en cas d’absence du receveur du colis ; Sorry We Missed You, comme un clin d’œil pervers à ces enfants qui ne voient plus ni leur père ni leur mère, happés par l’économie impitoyable qui régit le monde.

Vingt-deux ans après My Name Is Joe, toujours la même noirceur, le même pessimisme, le même accent nord-britannique qui porte à lui seul toute une condition sociale. Accusé de ce maux, Ken Loach se défend en se définissant plutôt comme « réaliste ». Comment continuer à croire en la vie lorsqu’on en a une telle vision ? Jamais une note d’optimisme, d’espoir, de lumière – à part peut-être la famille comme seule source de réconfort après bien des déconvenues… Simplement la pauvreté qui écrase, les couleurs ternes qui enferment les acteurs, les relations humaines qui sont teintées d’incompréhension. La domination sociale des uns, l’exploitation des autres, rendue encore plus grande par la technologie qui « fragmente et détruit la société ».

La bande-annonce est disponible ici.

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24 réflexions sur “Sorry We Missed You, Ken Loach

  1. Ping : Two Weeks to Live, Gaby Hull – Pamolico, critiques romans, cinéma, séries

  2. C’est vrai que t’as du courage de voir du Loach dans un moment pareil, d’ailleurs j’en profite pour te demander si par hasard t’as déjà vu Family Life et Black Jack (Une sorte de version hyper réaliste de l’île au trésor) ? Deux autres films de Ken Loach absolument incroyables.

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    1. Oui…
      Non, je n’ai vu que La part des anges (magnifique et bouleversant) et My Name Is Joe qui m’a inspiré du dégoût pour le cinéma de ce réalisateur plus qu’autre chose… trop de noirceur tue la noirceur. Ces répétitions de schémas d’un pessimisle crasse sont parfois « too much » malgré les messages très forts que portent les films. Je note ces deux titres, ne sait on jamais ! Merci 🙂

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      1. Ha d’accord je croyais que tu était une spectatrice avisée du cinéma de Loach. Si tu n’aimes pas la noirceur qui se dégage de ses films, Family Life n’est sans doute pas celui qui te réconciliera avec lui. Si tu souhaites davantage un Loach poétique et charmant, regarde son premier film, Kes. L’amitié entre un jeune garçon et un aigle sauvage. Au contraire de Black Jack et Family Life, Kes est très facile à dénicher.

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