Fille, Camille Laurens

« Une fille c’est bien aussi. » Une fille, c’est même merveilleux. D’une sentence à l’autre, un livre. Celui de Camille Laurens, celui de sa féminité, celui de toutes les filles, celles d’hier et d’aujourd’hui. Surtout celles d’hier puisque l’héroïne, tantôt narratrice, tantôt simple protagoniste, tantôt destinataire du narrateur, est née en 1960, petite sœur d’une Claude, garçon manqué. Le cycle se répète puisque sa propre fille en sera un, de garçon manqué – une fille qui veut porter des pantalons et des salopettes, jouer aux pistolets et aux Legos plutôt qu’à la dinette.

L’auteure, s’inspirant de son histoire, « de sa propre expérience de fille » dans un exemple de ce qu’elle appelle « l’écriture de soi », raconte ce que c’est que d’être du deuxième sexe quand on grandit avec un père qui aurait voulu un garçon, à une époque où l’avortement est encore illégal, où une femme ne peut pas avoir de compte en banque sans l’aval de son mari, où le viol doit rester une affaire de famille, un simple drap sale lavé en famille. Malgré un décalage temporel gênant quand apparaît la deuxième génération, Camille Laurens parvient à dire le sexe faible avec des mots forts.

En alternant le « tu », le « je » et le « elle » au fil de la vie de Laurence Barraqué, au fil des traumatismes et des étapes déterminantes de sa vie de fille puis de femme, Camille Laurens joue aussi avec son lecteur, réinvente une technique qu’elle semblait bien moins maîtriser dans Celle que vous croyez (adapté en film par Safy Nebbou en 2018). Parfois, quand Laurence va bien, est heureuse, l’auteure s’amuse avec les sonorités, crée des échos, des assonances et des allitérations, multiplie les rimes en prose malgré son écriture parfois (souvent) crue. Mais le style fluctue, parce que la vie n’est pas linéaire, les chutes succèdent aux joies, les bonheurs précédant les drames – alors les épiphanies stylistiques sont irrégulières, mouvantes, tout comme l’est l’existence. Elle n’épargne rien, raconte tout – la naissance, les regrets des parents, le deuil, les abus, la crainte, la sororité, la masturbation, l’amour, l’accouchement, la fuite des sentiments, l’amertume d’être une fille, de ne se définir que par et pour ses géniteurs puis son époux. Pourtant, une fille, c’est bien aussi. C’est même merveilleux, une fille.

Merci aux éditions Gallimard et au magazine Elle pour ce roman, lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices (note GPL : 15/20)

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18 réflexions sur “Fille, Camille Laurens

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    1. De rien 🙂
      L’écriture est à saluer, je suis d’accord avec toi, elle s’amuse avec les mots et le lecteur le sent, parvient à déterminer l’ambiance de la période, le moral de l’héroïne, grâce au style… et c’est fort réussi ! J’aime bien le terme de « chasse au langage » 🙂

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    1. Je l’ai parfois trouvé un peu cru et, peut être trop négatif (comme nous en parlions avec Ève, c’est d’ailleurs étonnant comme les ressentis sur la période peuvent varier d’une personne à l’autre) mais c’est une lecture que j’ai dans l’ensemble apprécié et que je recommande 🙂

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  4. Je ne l’ai pas trop aimé car trop caricatural, des parents au-dessous de tout car la mère ne fait rien pour protéger sa fille … Elle a dû en baver si c’est totalement une autofiction… J’ai quelques années de plus mais pas du tout le même vécu être une fille n’a pas été une calamité, plutôt du style tu peux faire aussi bien sinon mieux qu’un garçon 🙂

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    1. Je n’ai sans doute pas l’âge adéquat pour juger de ce côté caricatural mais j’imagine qu’une famille ne fait pas l’autre… après c’est vrai que c’est un livre très à charge et parfois un peu extrême dans ses vues, même de la société qui évolue (un peu) 🙂

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