Ce premier roman est à lui seul le roman de toutes les Amériques, passées et à venir, de tous les vices et de toutes les douleurs qui tordent cette terre. Stephen Markley entraîne le lecteur en Ohio, dans la ville imaginaire de New Canaan, non loin de l’ombre mythique des Appalaches mais encore plus proche de celle des cheminées des usines désaffectées. Les années lycée, voilà une période charnière pour tout un chacun et à laquelle les auteurs américains accordent bien souvent une importance capitale dans leur œuvre. Markley s’attache ici à mêler plusieurs destins de manière inextricable. Il y a le toxicomane gauchiste et démocrate, anti-Bush et anti-guerre ; il y a la jolie fille écolo issue d’une famille très croyante qui a découvert son corps et son homosexualité un peu par hasard ; il y a l’ancien soldat, le rouquin frêle et timide toujours obsédé par la même fille depuis sa préadolescence ; il y a la poupée, ex de la star du lycée, capitaine de l’équipe de football américain. Tous et toutes inadaptés, dénotant dans cet état rural et conservateur, corseté par des morales permettant certaines libertés mais en catégorisant d’autres comme péchés originels. Ils reviennent dans leur ville natale, au clair de lune, par hasard, se croiseront sans le savoir, éméché ou rêveur, ailleurs ou hagard – chacun donne sa version de la nuit, l’une après l’autre, dans une lenteur intolérable et enivrante toute à la fois. L’issue de cette soirée était comme prédestinée, inévitable, liée aux jours où l’alcool coulait à flot, où les jupes dansaient sur les cuisses nues des filles, où les garçons se livraient à d’impitoyables batailles d’égo.
Dans Ohio, il y a du Donna Tartt halluciné et de son Chardonneret, du Franzen engagé, de la misère sociale et de la misogynie comme dans Glory d’Elizabeth Wetmore, un soupçon de la fatalité d’Écoutez nos défaites, et beaucoup de la virtuosité du Nouveau Journalisme de Tom Wolfe. Il y a aussi l’urbanité rurale si typique de ces états de la Rust Belt. Les phrases de l’auteur sont tantôt longues, tantôt courtes, à rallonge ou non verbales, toujours semblant sortir tout droit de la gorge de ses protagonistes. Maîtrise parfaite des focalisations avec lesquelles il jongle, allers-retours infernaux entre présent et souvenirs sur lesquels il se bâtit, existences cabossées qui se croisent, s’éloignent et se percutent – violence et alcool, drogues et traumatismes. Stephen Markley, en cinq cents pages enragées et hyper-réalistes, capture l’Amérique moderne, les troubles de son peuple, le racisme et la bigoterie aveugle, l’écologisme et le complotisme, les addictions et la pauvreté, l’intolérance et le populisme, les scissions irréparables entre démocrates et républicains, trumpistes avant l’heure. Sa plume qui ravit tous les maux du Nouveau Continent est, en outre, traduite d’une main de maître par Charles Recoursé, dont on sent à peine la présence rassurante, légère, qui dissémine quelques indices discrets de son passage.
Brillant, addictif, Ohio se dévore, les personnages se mêlent dans nos têtes avant de se distinguer par leurs actes, leurs pensées et leur personnalité, transparaissant si justement derrière les mots de l’auteur, derrière sa capacité à se glisser dans la peau de tous ceux qu’il raconte.
Il est en lice pour le Grand Prix de littérature américaine 2020.
Merci aux éditions Albin Michel qui, en contribuant à enrichir aVoir aLire, ont également contribué à enrichir Pamolico.
Stephen Markley – Ohio
[Ohio – traduit par Charles Recoursé]
Albin Michel (Terres d’Amérique)
19 août 2020
560 pages
22,90 euros
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Avec plaisir 🙂
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Avec plaisir 😘
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Il me tente bien celui-là! Pour quand il sera disponible par ici 😉
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Je te le conseille vivement ! Canada, c’est ça ? 🙈
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Au Québec 😉 Sortie prévue ces jours-ci!
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Bonne lecture à venir alors 😉
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Merci! 🙂
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Ça m’a l’air super… très belle chronique
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Merci beaucoup !
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j’ai failli passer à côté de ce livre (de sa sortie je précise!)
je le note illico car il devrait me plaire…
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Super si je te l’ai fait découvrir ! 😉
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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Je suis en train de le lire et j’aime beaucoup. Un grand roman et un auteur à suivre!
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Exactement !
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Ta critique est belle et tu m’as convaincu de le lire. Je vais m’acheter deux livres Albin Michel pour cette rentrée littéraire : le Sébastien Spitzer et celui-ci de Stephen Markley. Le sujet de ce dernier a tout pour me plaire. Merci Cécile, beau weekend à toi 😉☀️
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Merci ! Oui, je savais que le Spitzer te faisait de l’œil 😉 je suis en train de lire le Colson Whitehead, toujours chez Albin Michel, et je pense que je te le conseillerai également (j’attends quand même d’avoir fini ma lecture). Beau week-end à toi aussi Fred 🙃
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Je commence le Spitzer ce soir. Chronique à venir prochainement. Le Colson Whitehead est tout en haut de ma PAL aussi. Hâte de lire ton retour. Passe une belle soirée Cécile 😉
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Hâte de voir ce que tu en penses alors et régale toi 😉
Il est en ligne ! Bouleversant mais très pudique, l’auteur bluffe par cette capacité à décrire la violence en étant toujours dans la suggestion et la simplicité pour mieux dénoncer.
Belle soirée à toi aussi Fred 🙂
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Superbe chronique que j’apprécie d’autant mieux pour avoir lu le livre récemment.
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Merci beaucoup ! Oui, j’ai vu la tienne passer dans mon fil d’actualité. Jolie critique aussi même si j’ai choisi d’en dire moins que toi 😉
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Ah oui, on me dit souvent que j’en dis un peu trop 😉 mais si je ne mets pas le résumé de la quatrième de couverture, je crains toujours que les lecteurs ne comprennent pas l’histoire.
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Ah ça, c’est notre dilemme du moment sur aVoir aLire 😉
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