Semblable à un recueil de poèmes en prose, Le testament russe déploie mots et images autour du lecteur, crée un autre monde, entre passé et rêve, réalité et chimères. Shumona Sinha, grâce à ses deux héroïnes, dresse un mausolée à la culture russe sans jamais passer sous silence les dérives du régime soviétique. Adel Kliatchko vit à Saint Pétersbourg, reculée, dans une résidence où le temps n’a plus cours, où la vie est à l’arrêt. Sa mémoire immédiate a ses failles, mais ses souvenirs d’enfance restent intacts. L’URSS, les Grandes Purges, l’appartement communautaire, la misère, l’amour pour son père, Lev, et l’amour de ce père éditeur pour la littérature – malgré la censure. La littérature, voilà ce qui relie Adel et, à l’autre bout de l’Asie, Tania. À Calcutta, les œuvres jeunesse puis les romans plus intellectuels de la maison d’édition de Lev, Raduga, transportent la jeune fille dans un ailleurs soviétique qui la laisse rêveuse, lui permet de s’échapper de son quotidien morne et violent. Chacune de ces deux femmes fantasme la vie de l’autre, l’exotisme et la douceur de vivre des rues que son interlocutrice parcourt ou a parcouru. Adel s’exprime à la première personne du singulier, ses pensées vieillissantes et ses réminiscences nimbent de brume son quotidien, tandis que Tania, simple focalisatrice, a l’esprit acéré et fougueux de ses jeunes années.
De Calcutta à Saint Pétersbourg, Shumona Sinha voyage, flotte sur un tapis volant, multipliant les allers-retours et les ponts entre Inde et Russie, entre son pays natal et celui de Lev Moisevitch Kliatchko – Le testament russe s’inspirant librement de la vie de cet homme. Riche, foisonnant, ce roman est semblable à un monde parallèle où les métaphores filées donnent un corps flou et presque translucide au réel, le reliant sans cesse à des images poétiques. Chaque phrase, courte, semble contenir tout un univers, de couleurs, d’illusions, de reflets où le lecteur peut se perdre en une fraction de seconde. Labyrinthe de noms, de rues, d’œuvres littéraires réelles, de personnages fictionnels, de personnalités historiques, Le testament russe se hisse hors de la portée d’un lecteur rêveur, lui préférant un public plus averti et amateur de poésie.
Merci aux éditions Gallimard qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.
A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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