Le monde n’existe pas, Fabrice Humbert

Dans le monde d’aujourd’hui, réalité et fiction se confondent de plus en plus souvent. Des photographies truquées fleurissent sur le net, des mises en abîme perturbantes et floues éclosent, des montages sonores remplacent les bruits de la nature. Les hommes passent plus de temps immergés dans des histoires, dans des images fictionnelles, dans des pages de mots, dans des mondes irréels, que les pieds sur terre. La tête dans la lune, les yeux fixés sur un mirage.

C’est sur ce constat que Fabrice Humbert bâtit Le monde n’existe pas, entre polar grandiose et dystopie dangereusement réaliste. Journaliste pour le New Yorker, Adam Vollman s’est construit sur les ruines de son adolescence, sur ses réussites teintées d’échec. Il est devenu quelqu’un d’autre tout en étant lui-même. Alors qu’elle n’est pas sa surprise quand il découvre, en taille réelle sur les écrans de Times Square, une silhouette mythique qu’il pensait ne jamais revoir, celle d’Ethan Shaw, son amour de jeunesse, celui qui n’a pas quitté ses pensées depuis, pas totalement. Il n’en fallait pas plus pour qu’Adam prenne sur lui et décide de retourner à Drysden, ville fictive, ville du martyre de ce protagoniste. Il veut enquêter, ne croit pas à la culpabilité de cet homme bon, secret mais joyeux et généreux. Il veut savoir. Les rouages bien huilés de l’enquête se grippent, Adam étant semblable à ce caillou qui vient déranger l’engrenage et l’empêche de fonctionner correctement. Son rédacteur en chef le harcèle, et s’il semblait accepter ce besoin pour Adam de revenir dans cette ville, genèse de tout, il finit par ne plus comprendre, par attendre, excédé, de pouvoir lui-aussi faire sa une sur Ethan Shaw, violeur et tueur de la « fiancée de l’Amérique ». Mais Adam est sur une piste. Une piste vague qui se précise, qui flirtera entre jeu de dupes et jeu de miroir, entre mise en abîme étrange et jeu de rôle grandeur nature.

Les phrases sont courtes, percutantes et confondantes tout à la fois. Les digressions sont là, comme des preuves accablantes de cette atmosphère instable, de ce sol friable où évolue le héros. Parfois complexe, souvent perturbant, ce livre est un coup de poing qui dénonce les fake news perpétuelles de notre monde, le besoin de se gaver d’inventions et de falsifier le réel, comme une manière de s’échapper du présent, de moins en moins soutenable.

Merci aux Éditions Gallimard qui, en contribuant à enrichir le site d’aVoir aLire, contribue également à enrichir ce blog.

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20 réflexions sur “Le monde n’existe pas, Fabrice Humbert

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  4. Merci bcp pour ce partage de lien . Oui le terme  » Jeu de rôles » est très approprié. Lorsqu’on ne sait plus démêler du vrai du faux, on est dans un jeu de rôles où sensibilité et émotions n’ont aucune réalité puisqu’elles sont fausses!
    Il suffit de dire de ralentir de faire de tests du Covid pour dire qu’il y a moins de personnes malades … Implacable ! 😉

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  6. Anonyme

    Ce texte m’a immédiatement happée, son côté polar je suppose. Mais contrairement à une enquête classique, plus j’avançais, plus les questions affluaient, et allaient bien au -delà de l’histoire. Une peinture de notre société d’information et de communication qui s’est emballée, qui nous échappe, nous asphyxie mais que nous contribuons à nourrir. Revenir à la source d’un fait devient de plus en plus difficile donc de plus en plus essentiel. Avoir choisi les États-Unis n’est pas neutre, mais le cadre se transpose, hélas, facilement. Etourdissant. Une réussite de plus pour Fabrice Humbert.

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      1. J’aime beaucoup votre analyse du roman, c’est vraiment « étourdissant » l’adjectif qui colle à ce roman (que ma mère a détesté d’ailleurs, son côté trop terre à terre je suppose ;))…
        Merci pour ce commentaire et bonne journée !

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