1917, Sam Mendes

Monumental, flirtant entre film de guerre et épopée, Sam Mendes, qui voit 1917 comme le « film le plus enthousiasmant de sa carrière », nous emmène dans le Nord de la France, en avril de cette même année, aux côtés de Blake (Dean-Charles Chapman) et de Sco (George MacKay). Le général Erinmore leur confie une mission : ils devront traverser le no man’s land puis passer la ligne ennemie – déserte – avant de dépasser Écoust-Saint-Mein, de longer Croisilles pour finalement arriver au 2ème Devons et ainsi empêcher les hommes de courir à une mort certaine, soigneusement orchestrée par l’ennemi. L’attaque prévue à l’aube ne doit pas avoir lieu – la vie du frère de Blake en dépend. L’horloge tourne et le destin de 1600 hommes se joue dans ce contre-la-montre hasardeux qui pourrait se révéler fatal.

L’un est courtaud et un peu rond, l’autre est tout élancé ; l’un a les yeux bleus, l’autre, les yeux verts. L’un est prêt à tout, l’autre semble plus réfléchi – et c’est bien le plus réfléchi qui agit en grand-frère avec Blake, prêt à le protéger même s’il lui faut pour cela se montrer téméraire.

Qualifiée de film de guerre par les initiés, cette réalisation est pourtant bien plus subtile que cela – aussi adroite et ingénieuse que ne l’est la critique des conflits armés et de leur absurdité qui apparaît en filigrane lors de nombreux plans. Pas de bain de sang, de scène insupportable (ou si peu), de blessures de guerre ouvertes et intenables. À la place, une tension incroyable, de la boue, de l’amitié, des cadavres, des rats et des corbeaux, de la pluie, des fleurs et des explosions.

Sam Mendes parvient même à ménager quelques moments de poésie au sein de l’horreur de la traversée, de cette épopée si périlleuse. Il n’y a pas que les balles qui pleuvent – les pétales de cerisiers en fleurs aussi. La lumière créée par les bombes transforme les ruines des maisons d’Escoult en un son et lumière magistral, dangereusement magique. L’aube pointe, le jour se lève, le feu rougit l’air et le ciel encore sombre, les flammes dansent sur les pierres et les bâtiments mutilés. Et des silhouettes, toujours. La guerre ne s’arrête jamais semble nous clamer le réalisateur en réussissant à donner l’impression d’un one-shot de deux heures stupéfiant. En réalité, il s’agit de longues séquences ensuite montées ensemble pour nous immerger totalement – c’était la première fois que Mendes se prêtait à un tel exercice sur un film entier. La caméra ne lâche pas Blake et Sco, jamais, elle les suit, partout, tout le temps, le spectateur est happé par la guerre, par les tranchées, par le no man’s land, par les ruines, par le champ de bataille. Les deux acteurs sont bluffants : leur jeu est d’une justesse à couper le souffle, leurs yeux reflétant tout à la fois leur désarroi, leur peur et leur détermination. Rien n’a été laissé au hasard : 1,5km de tranchées ont été creusés sur le lieu de tournage, en Angleterre, et un ancien soldat a supervisé les opérations, briefant les acteurs qui avaient déjà subi un entraînement en règle. Outre l’expérience du grand-père du réalisateur dans les tranchées, cette œuvre se base également sur l’expertise de Andrew Robertshaw, spécialiste de l’histoire militaire qui était déjà intervenu auprès de l’équipe de Cheval de Guerre.  

Nous avançons dans ce film, la boule au ventre, les mains moites et le regard fou, presque aussi fou que celui de nos deux soldats. L’électricité qui épaissit l’air colle autant à notre peau qu’à la leur et notre angoisse semble fonctionner comme le reflet de leur panique – certes déformé et pâle mais se mouvant au même rythme qu’elle, ne la quittant à aucun moment. Ce film est magistral, puissant, il nous porte dans cette course infernale, au rythme de la musique composée par Thomas Newman – habitué à collaborer avec Mendes.

Il a déjà raflé deux Golden Globes (meilleur film dramatique et meilleur réalisateur) et se présentait comme l’un des favoris aux Oscars… Malheureusement, son palmarès en décevra plus d’un : les trois statuettes raflées récompensent seulement le côté technique (meilleure photographie, meilleur montage sonore et meilleurs effets visuels). Ils se consoleront avec les British Academy Film Awards qui ont vu 1917 dominer la cérémonie d’un bout à l’autre.

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29 réflexions sur “1917, Sam Mendes

  1. Maximelefoudulivre

    Bonjour Ceciloule,

    Quel film ! Je suis complètement d’accord avec ta critique. Le jeu à la caméra avec les plans est incroyable, elle suit les mouvement on se sent embarqué. Cela marque une proximité avec les personnages.

    Un film de guerre sans la montrer directement. C’est finement trouvé. On en voit les dégâts, impacts sur les gens.. bref j’ai aimé.

    Bonne journée

    Chaleureusement,

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    1. Bonjour Maxime,
      Tu me donnerais presque envie de le revoir… mais pas en ce moment. Trop dur émotionnellement, ce n’est pas pour maintenant. Je suis contente qu’il t’ait touché et que tu aies vu cette critique implicite de la guerre. Et puis c’est un long-métrage qui reste en mémoire, tu verras. Je m’en souviens encore parfaitement alors que j l’ai vu au cinéma il y a deux ans.
      Bonne journée à toi aussi !

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  2. J’arrive après l’orage, mais voilà un bien bel hommage à ce film époustouflant ! On peut effectivement s’attrister un peu de son passage anecdotique aux Oscars, mais 2019 a été une énorme année pour la cérémonie et entre Joker, Once Upon a Time in Hollywood et bien évidemment Parasite, c’était la grande bataille des mastodontes !

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  4. DisMoi10phrases

    Très bel article!
    Pour ma part je l’ai trouvé assez moyen: les soldats allemands sont de purs méchants (on est en 2020 tout de même), une jolie fin à l’américaine, des passages longuets, pas mal d’incohérences dans les prises de vue… De belles images et de bons acteurs tout de même.

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    1. Merci !
      On ne voit pas beaucoup de soldats allemands en même temps… et heureusement que la fin ne nous plombe pas encore plus ! Pour moi ce film accomplit avec brio son objectif : nous remémorer cette guerre.
      Bonne journée 🙂

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