Un sugar run, ou un cycle de chance au poker, et pourtant la chance ne semble pas sourire à Jodi, et ce n’est pas faute d’y mettre du sien. Le sort s’acharne contre elle, les rencontres toxiques s’accumulent. À sa sortie de prison, elle est égarée, ailleurs, dépassée par tout ce qu’elle n’a pas vu vivre, passer, par toutes ces années écoulées alors qu’elle était derrière les barreaux, loin de tout, de ses proches, de ses champs et de ses rêves de nature et de vie au grand air. L’amour, le désir, la drogue, autant de circonstances aggravantes, autant de données qui font tourner la roue de la fortune, qui affolent les cœurs et les pensées, les corps et les fantasmes. Les responsabilités sont enveloppées d’un brouillard brumeux, occultées par les esprits engourdis par le sommeil, les médicaments, le tabac, le soleil et la caresse de la liberté. Mais Jodi et celles qu’elle rencontre, sont-elles réellement libres ou n’est-ce qu’une simple illusion, l’illusion d’évoluer dans un paysage sans frontière visible mais en réalité encombré d’obstacles créés tant par la société que par elles-mêmes et leur fatalité, leur incapacité à s’éloigner du nocif, à le renifler, à le détecter et à l’éviter coûte que coûte. Le nocif, c’est ce qui les attire, le nocif et le danger, la certitude de voler au plus près du soleil, quitte à se brûler les ailes et à tomber, aveuglées et les plumes brûlées.
Un style pur et brut, nimbé d’un halo mystérieux, sombre, presque noir. Ce roman est un oxymore semblable à son titre, mêlant la douceur ouatée du sucre, à l’adrénaline, au speed et au danger. L’atmosphère créée par Mesha Maren a une vraisemblance folle, elle est mouvante, changeante, la lumière dont l’auteure enveloppe ses personnages la faisant évoluer d’une scène à l’autre. Les phares de voiture, les néons, le doré de l’aube donnent un côté à la fois irréel et authentique au roman, un rythme éthéré, hors du temps et effréné, enivrant et indolent. La vérité brute qui émane de ses mots, des rayons du soleil, de la poussière en suspension dans l’air, de la lumière crue et glauque des néons rend les scènes presque tangibles. Le lecteur voit ces femmes fatales, ces femmes perdues et pleines d’espoir, désabusées par la vie mais des projets de futur et des bonnes résolutions plein la tête, évoluer sur les routes de Virginie, entre les bosses tendres des Appalaches et les champs arides, entre les hommes et la forêt.
Entre fable écologique, romance funeste et destin tragique, Sugar Run nous emporte aux États-Unis, entre 1987 et 2007, entre passé raconté au présent et présent narré au passé, entre souvenirs et réalité, les époques se confondant presque pour nous interroger : ne sommes-nous pas condamnés à répéter encore et encore les erreurs du passé, ne sommes-nous pas enfermés dans un cycle, sugar run pour les uns et bad run pour les autres ?
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Très belle chronique! Pour ma part, ce fut une bonne lecture mais pas un coup de cœur.
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Merci !
J’ai vu ça, mais c’est toujours intéressant d’avoir une large palette d’avis 😉
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J’apprécie de lire d’autres avis 😊 je pense que le moment n’était pas le bon pour moi ! Heureuse que tu aies passé un bon moment en tout cas
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Les avis sont soit excellents, soit mitigés 😉
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Gallmeister, excellent éditeur.
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Ah oui alors !
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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Lu sur une période mouvementée, je n’ai pas perçu toute la beauté du récit. Je suis restée sur une histoire assez classique. Bonne lecture mais pas de coup de coeur
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Oui, j’ai vu ta critique ! C’est étonnant les différences de perception, mais c’est à cela qu’on sert 😉
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