Chasseur chassé (La tentation, Luc Lang)

Luc Lang joue avec le temps, avec les mots et les sons qu’il transforme de ses mains de magicien. Son héros, François, est un chasseur un peu désabusé, père de deux grands enfants, marié à une femme volubile, étrange. Son refuge, c’est le relais de chasse qui est dans la famille depuis plusieurs générations, c’est la nature, la forêt, les odeurs d’humus, de mousse et de gibier, le feu qui craque dans la cheminée et des pâtes au chevreuil dans son assiette. Mathilde et Mathieu sont loin, tant dans l’espace que dans l’esprit : lui y pense sans cesse, eux non, ils ont oublié ce père chirurgien, l’ont enfermé dans ces montagnes et ces bois, ont cloisonné leur esprit pour se concentrer sur leur compagnon respectif : un mannequin pour Mathieu et un gros porte-monnaie pour Mathilde. La mère, elle, se concentre sur le Christ, sur les couvents où elle se retire régulièrement pour contrôler ses pulsions morbides. Le décor est posé. Chasseur, chassé, proie et prédateur… Les rôles risqueraient bien d’évoluer.

La magie de ce roman s’opère dans les descriptions des lieux, du bois, des animaux, et des sentiments. Chaque mot est soupesé, chaque mot s’ajuste parfaitement dans le texte, et n’aurait pu être remplacé par aucun autre. D’ailleurs, pour ne pas alourdir son style, Luc Lang a fait le choix de passer sous silence certaines expressions, certains termes, remplacés par des points de suspension – ce qui sera parfois frustrant. De même, pas de guillemets pour encombrer les pages, ni de réelles transitions entre récit, pensées et dialogues, entre discours oral, monologue intérieur et histoire. Tout est lié, tout se mélange, les points séparent à peine ces deux éléments du texte, qui fusionnent ainsi mieux encore. La temporalité n’a pas été oubliée par l’esprit brillant de l’auteur qui lui a réservé un sort tout particulier. La tentation semble ainsi presque se conformer à la règle des trois unités qui régissait les tragédies classiques françaises : un seul lieu ou presque, une seule journée, et une seule intrigue dont découlent les mots, les phrases, les interrogations. Ces vingt-quatre heures – à peine plus – sont si bouleversantes, si décisives, si importantes, que le héros les vit en boucle. Pourtant, plus de finesse ici que dans Un jour sans fin : la journée ne commence pas toujours au même moment, et ne se répète pas à l’infini, seulement dans la boucle temporelle permise par le roman, seulement trois fois, et sans jamais que le lecteur ne s’en agace tant la maîtrise de l’auteur est totale.

On comprend les jurés du Prix Médicis, et on se dit que ça aurait été sacrilège qu’un tel style ne soit pas primé.

Ils en parlent aussi : Chez Mélopée, Les libraires masqués du grenier, L’écho des livres, Librairie des Danaïdes, Parfum livresque, La livropathe, Au vent des mots, Les libres d’Eve

10 réflexions sur “Chasseur chassé (La tentation, Luc Lang)

  1. j’ai beaucoup aimé ce roman. J’ai découvert Luc Lang avec « Autoroute » il y a quelques années qui m’avait déjà bien plu 🙂
    bonne année : je suis en retard dans mes « commentaires » et en plus je ne recevais pas les notifications de tes chroniques alors que j’étais abonnée mystère ….

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