Partir et revenir (Par les routes, Sylvain Prudhomme)

Ce roman fait partie de la sélection du prix du Roman des Étudiants France Culture / Télérama 2019, prix pour lequel je suis jurée.

L’écriture de Sylvain Prudhomme va droit au but. Pas vraiment de détours, d’embellissement quelconque. Straight to the point. Des phrases courtes, sujet-verbe-complément, et des énumérations. Des faits. C’est un style qui ne laisse que peu de place aux émotions, c’est très factuel. Les phrases sont trop courtes pour permettre aux sentiments d’y naître, de s’y développer et de croître, et pourtant il ne s’y passe pas grand-chose, dans ce roman, un peu à l’image de la chanson de Leonard Cohen, Famous Blue Raincoat que Sacha, le narrateur, évoque. Les personnages se tournent autour, valsent, changent de partenaire de danse, de manière assez romantique, poétique. Et c’est à peu près tout – un tout qui a séduit le jury du Femina 2019.

Sacha, écrivain, déménage et retrouve, par hasard, à V. celui que l’on pense être son meilleur ami de toujours, son ancien colocataire, perdu de vue depuis seize (non, dix-sept !) ans, déjà. L’autostoppeur. L’autostoppeur est marié, il a un fils. Mais il continue à partir sur les routes, de longues semaines parfois, juste pour le plaisir de partir, de découvrir gens, routes et paysages. La France grâce aux autoroutes. Sacha n’est pas très prompt à se laisser envahir par ce que ressent son cœur, il est terre-à-terre, réaliste, enfin il s’efforce de l’être un peu moins. Il retrouve son ami, sa famille, retisse des liens qui n’avaient jamais vraiment disparu.

Tout est fait en finesse dans ce roman. Peut-être est-il un peu trop subtil d’ailleurs, un peu trop pour que le lecteur pénètre réellement dans l’univers créé par Sylvain Prudhomme, s’immisce dans les pensées de Sacha, ne fasse plus qu’un avec lui et avec ses désirs. On se laisse porter par le style, par le discours direct rapporté sans guillemets, sans exclamation ni même interrogation. Par la plume neutre, neutre peut-être pour mieux nous permettre de superposer les images créées par notre imagination à celles qui jaillissent des mots de Prudhomme.

Des non-dits, de l’implicite donc, des regards, peu de mots, davantage des impressions. Par les routes, c’est un roman presque primaire, qui détonne par sa manière d’aborder une histoire ordinaire – à la fois banale et étrange. Vous en connaissez beaucoup, vous, des hommes qui partent tous les quatre matins, sans réel but, à part celui de rencontrer des conducteurs et de changer d’air ?

Partir, revenir, partir, revenir. Un va-et-vient qui pourra laisser perplexe ou bien être jugé d’une poésie rare.

And what can I tell you, my brother, my killer, 
What can I possibly say?
I guess that I miss you, I guess I forgive you,
I'm glad you stood in my way.
If you ever come back here, for Jane or for me,
Well your enemy's sleeping, and his woman is free.
 (Et que puis-je te dire, mon frère, mon assassin,
Qu'est-ce que je peux bien dire ?
J’imagine que tu me manques, j’imagine que je te pardonne,
Je suis content que tu te sois trouvé sur ma route.
Si jamais tu repasses par ici, pour Jane ou pour moi,
Eh bien ton ennemi dort, et sa femme est libre.)

Ils en parlent aussi : Le soleil éclaire la terre, Butineries, Un plaid, un thé, des livres, Vin rouge et encre noire, Clémence Pouletty, Littécritiques, Diacritik, Mumu dans le bocage, Mélie et les livres, La plume de Victoire, Lire et écrire en Presqu’Île, Mes belles lectures, Les lectures d’Antigone, Livrissime, Louise et les canards sauvages, A book is always a good idea, Mémoires de livres, La fabrique de souvenirs, Livres et ratures, Le blog d’une pipelette liseuse, Le site de Carmen Robertson, Le blog de Krol, Lectures de rêves, Madame lit

18 réflexions sur “Partir et revenir (Par les routes, Sylvain Prudhomme)

  1. Ping : Glory, Elizabeth Wetmore – Pamolico, critiques romans, cinéma, séries

  2. Merci pour le lien vers ma chronique du roman que j’ai aimé mais sans que cela soit un coup de coeur….. Cela a été pour moi une bien jolie balade, j’ai aimé les questionnements que le récit porte à nous poser sur notre propre parcours, l’écriture est douce et j’invite à écouter des interviews de Sylvain Prudhomme….. On retrouve toute la douceur, une sorte de mélancolie de son écriture 🙂

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  3. Oh que je l’ai aimé ! Et offert autour de moi. Je me demandais au début dans quoi j’étais tombée. Et ce style dépouillé et pourtant tellement descriptif m’a emballée jusqu’au bout. Le méga-coup de foudre. Comme quoi on est tous et toutes différents dans notre ressenti… j’ai croisé deux blogueuses seulement qui l’ont aimé autant que moi. Et c’est peut être parce que c’est « au bon moment » pour moi… bref. C’est toujours « interrogeant » ces différences selon les lecteurs…

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    1. Oui, c’est vrai que c’est toujours intéressant de comparer nos ressentis 😉
      Je ne dis pas que je n’ai pas aimé, mais j’ai été un peu partagée, à la fois séduite par ce style presque simpliste et gênée par le manque d’émotions plus clairement exprimées. C’est ce qui fait la force du livre, et certains n’accrocheront pas tandis que pour d’autres, la plume est épurée à la perfection. Je suis entre les 2 !

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  4. Michel Péronnet

    Comme dit Grané, ça donne pas vraiment envie de le lire! En ce moment je lis avec plaisir la série des Jonathan Coe sur l’Angleterre depuis les années 70 jusqu’à nos jours (le coeur de l’Angleterre) Ce soir on a ton père pour diner, on est ravis, Bises Praté

    Michel Péronnet

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    1. Bah bof on va dire ! Y a du bon et du moins bon…
      Le premier tome de Coe m’a beaucoup plu (surtout que je retrouve des éléments que j’étudie en cours) et le deuxième et troisième m’attendent sagement !
      Profitez bien de lui alors et passez une bonne soirée, bises

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